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nécessaire et naturelle, est une propriété récente, créée par la Révolution, très différente de la conception d’autrefois.

Un seigneur de l’ancien régime pouvait posséder des fiefs vastes et nombreux, sans avoir à lui appartenant, dans l’étendue de ces fiefs, un hectare de sol cultivable qu’il fût capable d’affermer ou de vendre. Il pouvait n’avoir que la « seigneurie, » le « domaine direct, » et point du tout de « domaine utile » à louer ou à faire valoir. Le domaine direct comprenait tout ce qui fut aboli dans la nuit du 4 août, tout ce que l’on engloba sous le terme générique de « droits féodaux, » c’est-à-dire des contributions, des redevances en argent, en nature, en travail ; dont les unes avaient été imposées par le suzerain local, au temps où il constituait à lui seul l’ « État ; » dont les autres avaient été stipulées par lui en échange de terrains qu’il avait « accensés, » — vendus à charge de rente perpétuelle, — lors de la disparition du servage. Le domaine direct était proprement le domaine noble. Quant au « domaine utile, » comportant seul la vraie et effective possession d’une métairie ou d’un champ déterminé, le seigneur en avait plus ou moins ; suivant que ses prédécesseurs en avaient gardé, et le plus souvent racheté, dans les temps modernes, aux roturiers qui le détenaient.

Il pouvait avoir de ce domaine utile, — prés, vignes ou labours, — dans des fiefs où il n’était pas seigneur et où il était tenu, vis-à-vis du seigneur dominant, aux mêmes obligations que les roturiers vis-à-vis de leur suzerain. Car ces obligations suivaient le fonds en quelques mains qu’il passât, et les dignités elles-mêmes, attachées à ce fonds, rentraient dans ce que notre code actuel appelle des « servitudes actives ; » c’étaient des « hommages immeubles par destination. »

Lui-même, le domaine utile, quoiqu’il corresponde à notre propriété rurale actuelle, ne la représente pas exactement. Il comportait une jouissance moins absolue, dont le droit de chasse par exemple ne faisait pas partie. Mais surtout il était borné et resserré étroitement par la « vaine pâture. » Depuis le jour de la fauche des foins jusqu’au printemps suivant, à la pousse des herbes, — le droit exclusif au regain est une nouveauté, — depuis le lendemain de la moisson des grains jusqu’au deuxième ou troisième hiver avenir, où il sera permis d’ensemencer à nouveau, — car la jachère était obligatoire deux ans sur trois, ou un an sur deux, suivant les coutumes locales, — prés ou labours