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51 francs. Ces 51 francs étaient presque le tiers de la valeur de l’animal, qui coûtait alors 168 francs en moyenne. Beaucoup de baux du même genre sont cependant faits à la même date pour le même chiffre. Quatorze ans plus tard, les vaches ne se louent que 24 francs, sans doute par suite de la multiplication de l’espèce. Le taux de location, selon qu’il montait ou descendait, était l’indice de la misère ou de l’aisance des campagnes.

De semblables marchés se passent souvent entre bourgeois, entre gentilshommes : un « Pierre de Saint-Pol, écuyer, sieur de Guillerval et de Hécourt » prend à bail 80 bêtes à laine de « J. Lambert, sieur de Rochemont, garde du corps. » Aux temps modernes, ce genre de transactions tendit à disparaître ; on ne le remarque plus guère qu’en pays pauvre, comme dans les montagnes du Dauphiné, où les vaches, au XVIIIe siècle, se louaient 18 francs de mai à octobre, ou bien en des périodes critiques telles que la fin du règne de Louis XIV : en Picardie (1700) le loyer des vaches monte à 60 francs pour six mois.

Le moyen âge a connu beaucoup de formes de propriétés inconnues de nos jours, et ses manières de les acquérir ne sont plus les nôtres. Certaines, oubliées aujourd’hui, ont persisté jusque dans les derniers siècles : tels les droits d’ « aubaine » et de « bâtardise. » Le seigneur héritait des étrangers et des enfans naturels décédés sur son fief. Le Roi, qui était en toute la France le plus grand propriétaire de seigneuries, recueillait de ce chef de fructueuses successions. Souvent il en gratifiait des gens en faveur. Le marquis de Gordes reçoit en don, sous Louis XIII, les biens de feu G. Sinidat, Vénitien ; Bassompierre obtient la fortune d’un Piémontais, le sieur Corbinelli. Pontis raconte avec quelle impatience on attendait la mort d’une lingère de la reine Anne d’Autriche, Espagnole de nation, « qui ne s’était pas fait naturaliser et était extrêmement malade. » Avant son décès, son héritage, qui montait à 400 000 francs, était déjà promis par le Roi à un officier des gardes, auquel le duc d’Elbœuf et le marquis de Rambouillet disputaient d’ailleurs cette « aubaine. »

Ce droit barbare faisait partie du revenu foncier, entendu à la manière féodale, qui comprenait autant et plus de profits indirects sur les personnes que de location réelle des choses. Aussi peut-on dire que la propriété des terres, telle que nous la voyons aujourd’hui, telle par suite que nous la concevons