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« utiles, » c’est-à-dire de vraie propriété à la mode moderne. D’où il résulte que le revenu du même domaine diffère beaucoup, dans le cours des siècles, sans qu’on en puisse savoir exactement la cause. Le duché de Thouars, que nous voyons figurer en 1577 pour 39 000 francs, n’en rapportait que 22 000 cent ans plus tôt ; il monte à 43 000 en 1679 et à 91 000 en 1788. Mais la terre de La Trémoïlle, en Poitou, d’un rendement de 9 000 francs en 1396, tombe à 1 900 francs en 1493, se relève à 4 600 en 1553, retombe à 1 400 en 1679, pour revenir en 1788 à 9 800 francs : un peu au-dessus de son rendement du XIVe siècle.

La principauté de Talmont, portée à ce budget seigneurial pour 18 800 francs en 1493, descend à 14 400 en 1577 et se trouve encore au même chiffre à la veille de la Révolution. De 1679 à 1788 le comté de Laval monte de 105 000 à 155 000 francs ; mais, durant la même période, la baronnie de Vitré tombe de 28 000 à 24 800 francs et le comté de Montfort de 10 500 à 8 200 francs.

Il ne faudrait pas conclure d’ailleurs, de ce que l’on peut suivre quelques domaines dans les archives d’une race princière, que les terres restassent en général immobilisées dans les mêmes patrimoines. Un heureux concours de circonstances a voulu que le chartrier des La Trémoïlle, sauvé de la destruction, rencontrât, en la personne du chef actuel de cette maison, un érudit excellent qui prît plaisir à mettre ses ancêtres, une fois de plus, au service de l’histoire de France, en ouvrant au public leurs livres de comptes du XIVe au XVIIIe siècle. Ces documens sont pour nos recherches d’un prix rare, si rare qu’on ne trouverait pas leurs pareils ; puisque aucune autre puissante famille féodale, sauf les Montmorency, ne s’est maintenue jusqu’à la Révolution et n’offre, comme celle-ci pendant cinq cents ans, un type de transformation décadente, du grand vassal de Charles VI au grand seigneur de Louis XIV.

Mais, précisément parce qu’il s’agit d’un exemple à peu près unique, on n’en saurait tirer de conséquences générales. Et, même dans ce cas isolé, la stabilité des biens-fonds est-elle assez relative. Sur 27 terres et seigneuries, possédées par son aïeul en 1395 et disséminées en tout le royaume, le sire de La Trémoïlle, cent ans après (1493), n’en détenait plus que 5. Ces 22, qui lui avaient échappé, étaient remplacées par 10 nouveaux domaines. Au siècle suivant (1552), six sur quinze ont encore