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réalité l’Allemagne était résolue à ne céder sur rien. Qu’espérait-elle donc ? Évidemment que nous céderions sur tout. Nous avions commencé : pourquoi ne pas continuer ? Nous avions fait la concession la plus grande de toutes en renonçant à notre politique initiale, qui consistait à résoudre la question marocaine par une entente directe avec le Sultan, après avoir désintéressé un certain nombre de puissances. L’Allemagne s’y est opposée. Elle a prétendu que la question marocaine était européenne et mondiale, que toutes les puissances devaient prendre une part égale à sa solution, et qu’une Conférence était, pour cela, l’instrument approprié. Nous avons sacrifié notre conception à celle de l’Allemagne. Encore aurait-il fallu prendre, avant d’aller à Algésiras, des garanties pour la sauvegarde de nos intérêts : nous nous sommes contentés de faire reconnaître leur caractère « spécial. » Et nous voilà partis pour Algésiras.

De fâcheuses déconvenues nous y attendaient. Elles ne se sont pas produites, dès les premiers jours, parce que les premiers jours ont été consacrés à se mettre d’accord sur les questions faciles. Le ciel diplomatique paraissait alors aussi limpide que celui dont nos représentans jouissaient au sud de l’Espagne ; mais, à mesure qu’on se rapprochait des questions difficiles, il n’a pas tardé à s’obscurcir. Les questions difficiles sont l’organisation de la police et, à un moindre degré, celle de la Banque d’État : ce sont Charybde et Scylla. Nous avions bien renoncé à défendre nos intérêts par certains moyens, mais nous n’étions nullement disposés à les sacrifier. L’Allemagne s’en est peu à peu rendu compte : elle a pensé tout d’un coup qu’il était dangereux d’aller plus loin sans avoir sondé le terrain.

Que ne l’a-t-elle fait plus tôt ? Nous lui avons suggéré à diverses reprises, avant de nous rendre à Algésiras, que cette précaution serait prudente ; mais elle n’a voulu rien entendre, répétant sans cesse, à la manière d’un refrain, que tout s’arrangerait à la Conférence. Naturellement, il n’en a rien été. L’Allemagne n’a pas tardé à reconnaître que l’atmosphère d’Algésiras, quelque conciliante qu’elle fût, n’allait pas jusqu’à supprimer les questions par une sorte de volatilisation spontanée : alors M. de Radowitz, qui est un diplomate de la vieille école, a eu l’impression subite qu’une entente directe entre M. Révoil et lui faciliterait singulièrement les choses, si elle était possible. Il a pris l’initiative de la conversation ; il a même remis une note à son collègue français. Celui-ci pouvait-il se soustraire à la conversation et refuser de prendre la note ? Après l’avoir prise, pouvait-il ne pas y répondre ? Nous croyons que non ; mais cette opinion nous est personnelle ; elle