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de tel ou tel allegro et l’égarement suprême de cet arioso dolente (op. 110) où la mélodie épuisée et haletante s’interrompt à chaque mesure et tombe sur chaque temps d’une chute toujours plus lourde et plus douloureuse.

Alors même que Beethoven se tait, nous pouvons, nous devons l’écouter encore. Musicales en tout, les sonates le sont jusque dans le silence, par le silence ; à la manière, — muette aussi quelquefois, — de l’ouverture de Coriolan et de la marche funèbre de l’Héroïque. Le commentateur que nous citions plus haut[1] avait bien raison d’écrire à son élève, à propos du Largo de la sonate en mi bémol op. 7 : « Observez quels admirables, merveilleux silences Beethoven a composés. » Il importe beaucoup de ne les point abréger. M. Risler a compris cela comme le reste. Il n’ignore pas ce que Wagner a fait dire à Beethoven des points d’orgue qui coupent les premières mesures de la symphonie en ut mineur : « Tenez mon point d’orgue longuement et terriblement. Je n’ai pas écrit des points d’orgue par plaisanterie ou par embarras, comme pour avoir le temps de réfléchir à ce qui suit… Alors la vie du son doit être aspirée jusqu’à extinction. Alors j’arrête les vagues de mon océan et je laisse voir jusqu’au fond de ses abîmes ; ou je suspends le vol des nuages, je sépare les brouillards confus, je fais apparaître aux regards le ciel pur et azuré, je laisse pénétrer jusque dans l’œil rayonnant du soleil. Voilà pourquoi je mets des points d’orgue[2]. »

Au cours des trente années entre lesquelles ses trente-deux sonates se répartissent, Beethoven a tout accru, tout dilaté ; non seulement sa pensée mélodique, mais telle ou telle forme particulière : le menuet, dont il a fait le scherzo, la fugue, les variations, le récitatif et, plus généralement, le genre et les dimensions de la sonate elle-même.

Il est fort remarquable que les cinq dernières sonates contiennent trois grandes fugues, dont l’une, colossale, celle de l’op. 106, et deux thèmes variés, dont le dernier ‘morceau de la toute dernière sonate, la fameuse arietta. (C’est de ce diminutif modeste, peut-être légèrement ironique, que se nomme l’immense et suprême chef-d’œuvre qui sert à tous les autres de conclusion ou d’apothéose.) Beethoven a donné lui-même la raison de son retour aux formes scolastiques du passé. « Faire une fugue, disait-il en ses dernières années, cela n’a rien d’artistique. J’en ai composé par douzaines au

  1. M. Reinecke.
  2. Traduction de M. Maurice Kufferath.