Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ingénuité, d’originalité dans les autres, dont il nous a véritablement révélé plus d’une. Oh ! les belles veillées que furent ces neuf samedis beethovéniens ! Et pour leurs lendemains, quels trésors de pensée, d’émotion, de résolution et de volonté même, n’ont-ils pas fournis à nos loisirs du dimanche !

Nous ne pouvons que répéter de l’interprétation de M. Risler ce que nous en avons dit souvent. Aucun talent n’est mieux approprié, plus adéquat au génie de Beethoven, parce que nul autre ne réunit au même degré la raison et le sentiment, l’intelligence et la passion, les deux élémens dont l’équilibre est Beethoven lui-même et tout entier. L’esprit et l’âme ; c’est à l’un autant qu’à l’autre que Beethoven éclate et que M. Risler le fait éclater. Par la discipline et la liberté, par un lyrisme en quelque sorte classique, par l’accord de la règle avec la fantaisie, M. Risler est pareil à ces justes, dont un livre saint a dit qu’ils marchent dans la loi du Seigneur : « Ambulant in lege Domini. » Ils sont dans la loi ; mais ils n’y sont point immobiles. Elle les environne toujours ; elle ne les contraint et ne les opprime jamais. Un autre livre, profane celui-là, — c’est un roman de Cherbuliez, — nous apprend que « s’il est beau d’être un héros, il ne l’est pas moins d’être une conscience. » Beethoven a été l’un et l’autre. Pour le traduire, il convient de lui ressembler. Plus on entend M. Risler, plus on doute s’il faut admirer davantage ce qu’il y a dans son talent de souvent héroïque, ou de toujours consciencieux.


Parmi les diverses beautés qui composent la beauté pour ainsi dire intégrale des sonates de Beethoven, il en est qui leur sont communes avec les quatuors et les symphonies. Il y en a d’autres qui leur sont particulières, et que nous voudrions indiquer ou rappeler d’abord. Chefs-d’œuvre les plus intimes du maître, les sonates sont aussi ses chefs-d’œuvre les plus uns ; ses chefs-d’œuvre enfin les plus personnels, étant les seuls dont il ait lui-même été l’interprète. Beethoven a joué les sonates de Beethoven, et cela — je ne les entends jamais sans y songer — les fait plus étroitement, plus chèrement siennes. Beethoven fut, paraît-il, un grand pianiste, un maître de la technique, bien qu’il n’appartint pas, si nous l’en croyons lui-même, à l’école des virtuoses qui ne manquent jamais une touche. Peu de temps après son arrivée à Vienne (en 1792,) il joua ses trois premières sonates (op. 2) devant « M. Joseph Haydn, docteur en musique, » à qui il les avait dédiées en ces termes. C’était dans l’un des concerts donnés tous les vendredis par le prince Lichnowsky, lequel avait aimé,