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À l’heure du couchant quand vos forces déciment,
Nous déplierons pour vous un merveilleux tapis,
Où l’on voit s’enfoncer sous des arcs d’églantines
Des lions langoureux et des cerfs assoupis

« Vous boirez lentement d’enivrantes tisanes
Au creux d’un bol d’émail orné de bleus vergers,
Et l’énervant plaisir des musiques persanes
Fera briller votre âme et vos yeux allongés ;

Sur les portes d’argent, la lune au doux visage
Luira comme une enfant qui baise son miroir,
Et tous les rossignols éveillés dans leur cage
Aux roses de ton cœur diront leur désespoir… »

Alors, dans leur charmant palais de porcelaine
Je suivrai, confiante, heureuse, le cœur pur,
Ces beaux petits garçons dont le bonnet de laine
Est comme un noir hiver sous un immense azur.

Je verrai scintiller, dans la nuit sans égale,
Sur ce terrain d’amour aux rosiers si clément,
La rose du Calife et celle du Bengale,
Et mes tendres rosiers des soirs du Lac Léman.

Un paon bien nonchalant, bien dédaigneux, bien grave,
Passant auprès de moi son temps inoccupé
Enfoncera parfois dans les roses suaves
Son petit front étroit de beau serpent huppe.

Et, pensive, j’aurai la paix douce et narquoise
Des dames que l’on voit ouvrir un si bel œil
Sur une vieille boite en pâte de turquoise
Qui parfume et verdit comme un divin tilleul…


Ctesse MATHIEU DE NOAILLES.