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Vous nous dites : « Vivez, ce que contient le monde
De sucs délicieux,
On le boit à la coupe émouvante et profonde
Des lèvres et des yeux.

« La beauté du ciel turc, des cyprès, des murailles,
Nul ne peut l’enfermer,
Mais le bel univers se répand et tressaille
Dans des regards pâmés.

« L’immense odeur du musc, du cèdre et de la rose..
Glisse comme le vent ;
Mais l’Amour, de ses doigts divins, la recompose
Au creux d’un chaud divan.

« Sainte-Sophie avec ses forêts de lumière
Et ses bosquets d’encens
Se laisse contempler et toucher tout entière
Sur un corps languissant. »

Hélas ! je vous entends, morts de la terre chaude,
Vous me brûlez les os !
Depuis mes premiers ans, toute mon âme rôde
Auprès de vos tombeaux ;

J’étais faite pour vivre au bord de l’eau profane,
Sous le soleil pressant,
Consacrant chaque soir à la jeune Diane
La Ville du Croissant.

J’étais faite pour vivre en mangeant des pignolles,
Sous le frêle prunier
Où Xanthé préparait, enfant joueuse et molle,
Le cœur d’André Chénier.

J’étais faite pour vivre en ces voiles de soie
Et sous ces colliers verts
Qui serrent faiblement, qui couvrent et qui noient
Des bras toujours ouverts.