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les rigueurs d’un hiver précoce, on l’expédia à Lesbos ; elle y fut retenue sous bonne garde, et défense l’ut faite que personne l’approchât : tant on redoutait encore ses intrigues et la ténacité de son ambition. C’est dans cette captivité qu’elle mourut tristement, au mois d’août 803, abandonnée de tous. Son corps fut rapporté au monastère de Prinkipo, et plus tard à Constantinople, où on l’ensevelit dans l’église des Saints-Apôtres flans la chapelle funéraire où dormaient tant d’empereurs.


A la souveraine pieuse et orthodoxe que fut l’impératrice Irène, l’Eglise a tout pardonné, même ses crimes. Les chroniqueurs byzantins de son temps la nomment la bienheureuse Irène, la nouvelle Hélène, « celle qui avait en martyre combattu pour la vraie foi. » Théophane pleure sa chute comme une catastrophe et regrette les années de son règne comme une époque de rare prospérité. Théodore de Stoudion, un saint, lui a adressé les flatteries les plus basses, et n’a point trouvé de mots assez enthousiastes pour vanter « la toute bonne souveraine, » « à l’esprit si pur, à l’âme vraiment sainte, » qui, par sa piété, par son désir de plaire à Dieu, a délivré son peuple de l’esclavage, et dont les actes « brillent comme des astres. » L’histoire doit à Irène moins d’indulgence et plus de justice. On peut comprendre et, si l’on veut, excuser l’erreur des honnêtes gens, que l’esprit de parti aveugla sur son compte : on n’a pas le droit de la partager. Au vrai, cette souveraine fameuse fut essentiellement une femme politique, ambitieuse et dévote, que la passion du trône entraîna jusqu’au crime, et chez qui la grandeur des résultats obtenus ne compensa même point l’horreur de son forfait. Par ses intrigues, en effet, elle rouvrit pour quatre-vingts ans à Byzance, au grand détriment de la monarchie, l’ère des révolutions de palais que ses glorieux prédécesseurs, les empereurs iconoclastes, avaient fermée depuis près d’un siècle.


CHARLES DIEHL