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Sainte-Sophie, par les mains du patriarche Tarasios, assez oublieux, semble-t-il, de sa bienfaitrice, le nouveau basileus se faisait couronner en toute hâte. Cependant rien n’était terminé. Irène était populaire ; revenue de sa première surprise, la foule témoignait ouvertement son hostilité aux conjurés. On insultait le nouveau maître, on injuriait le patriarche ; et beaucoup de gens, rappelant les protestations de loyalisme par lesquelles les conspirateurs avaient abusé leur souveraine, leur reprochaient vivement leur ingratitude. On regrettait le régime renversé, la prospérité qu’il avait apportée, on redoutait l’avenir qui se préparait ; et la multitude, ne pouvant croire aux événemens qui venaient de s’accomplir, se demandait si elle n’était point le jouet de quelque mauvais rêve. La consternation, la désolation, étaient générales ; et le temps sinistre, une froide et brumeuse matinée d’automne, rendait plus tragique encore l’aurore du nouveau règne.

Une femme vraiment énergique eût profité peut-être de ces conjonctures : Irène ne le fit point. Entre les deux sentimens, l’ambition et la piété, qui partageaient son âme, et qui avaient guidé sa vie, la piété cette fois fut la plus forte. Non que sa chute eût en rien abattu son courage : elle ne marqua aucune faiblesse ; mais devant le fait accompli, « en femme sage et aimant Dieu, » selon le mot d’un contemporain, elle s’inclina sans murmurer. Quand, le lendemain du couronnement, Nicéphore vint lui rendre visite, les yeux pleins de larmes feintes, et qu’avec la bonhomie affectée qui lui était coutumière, montrant les souliers noirs qu’il avait gardés au lieu de chausser les brodequins de pourpre, il protesta qu’on lui avait forcé la main et s’excusa presque d’être empereur, Irène, avec une résignation toute chrétienne, s’humilia devant le nouveau basileus comme devant l’élu de Dieu, bénissant les mystérieux desseins de la Providence et trouvant dans ses péchés la cause de sa chute. Elle n’eut pas une récrimination, pas une plainte ; sur la demande de Nicéphore, elle livra même ses trésors, exprimant seulement le vœu qu’on lui laissât la libre jouissance de son palais d’Eleuthérion.

L’usurpateur promit tout ce qu’elle voulut : il l’assura qu’elle serait, sa vie durant, traitée « comme il convient à une basilissa. » Mais il ne tarda pas à oublier ses promesses. La vieille souveraine fut éloignée de Constantinople, et exilée d’abord dans le monastère qu’elle avait fondée à l’île de Prinkipo. Mais là encore elle semblait trop voisine. Dès le mois de novembre 802, malgré