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langue aux quatre autres : cruauté assez inutile, qui le rendit fort impopulaire, surtout chez les iconoclastes, qui aimaient dans les victimes le souvenir de Constantin V leur père. Enfin l’impératrice, pour achever de soulever l’opinion publique contre son fils, imagina un dernier moyen, le plus machiavélique de tous.

Constantin VI, on le sait, n’aimait point sa femme, encore qu’elle lui eût donné deux filles, Euphrosyne et Irène. Il avait des maîtresses. Après le retour d’Irène au palais, il ne tarda pas à s’éprendre vivement d’une des filles d’honneur de l’impératrice mère ; elle se nommait Théodote et, issue d’une des grandes familles de la capitale, elle était apparentée à quelques-uns des hommes les plus célèbres du parti orthodoxe, l’abbé de Sakkoudion Platon et son neveu Théodore. Irène encouragea complaisamment la passion de son fils pour sa suivante et ce fut elle-même qui l’engagea à répudier sa femme pour épouser la jeune fille ; elle n’ignorait rien du scandale que produirait la démarche du prince, et d’avance elle en escomptait l’effet pour ses desseins. Constantin VI prêta volontiers l’oreille à ces conseils ; et il se noua alors au palais, pour le débarrasser de Marie, une fort curieuse intrigue, sur laquelle je devrai revenir, car elle est tout à fait caractéristique des mœurs byzantines de ce temps. Toujours est-il que finalement, malgré la résistance du patriarche, l’empereur mit sa femme au couvent et, au mois de septembre 795, il épousa Théodote.

Ce qu’Irène prévoyait ne manqua pas d’arriver. Dans toute la chrétienté byzantine, et jusque dans les plus lointaines provinces, un tolle général salua cette union adultère. Le parti des dévots, épouvantablement scandalisés, faisait rage ; les moines, soufflant sur la flamme, tonnaient contre l’empereur bigame et débauché, et s’indignaient de la faiblesse du patriarche Tarasios, qui, toujours politique, tolérait de semblables abominations. Sous main, Irène encourageait et soutenait leur révolte, « parce que, dit un chroniqueur contemporain, ils résistaient à son fils et le déshonoraient. » Il faut voir dans les écrivains ecclésiastiques à quel paroxysme de fureur se haussa la pieuse colère des dévots contre le fils désobéissant et impudique, contre le prince débauché et corrompu. « Malheur, disait Théodore de Stoudion, reprenant à son compte les paroles de l’Ecclésiaste, malheur à la ville dont le roi est un enfant. » Constantin VI, plus calme