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l’âge requis, le tour de taille souhaité et chaussait la pointure demandée.

Enchantés de leur trouvaille, les messagers emmenèrent toute la famille à Constantinople. Une douzaine d’autres jeunes filles y étaient déjà rassemblées, toutes fort jolies, et la plupart issues de familles nobles et riches. Aussi ces belles personnes regardèrent d’abord la nouvelle venue avec quelque mépris, et comme celle-ci, qui n’était point sotte, disait un jour à ses compagnes : « Mes amies, faisons-nous une mutuelle promesse. Que celle d’entre nous à qui Dieu donnera de régner s’engage à s’occuper de l’établissement des autres, » une fille de stratège lui répondit avec hauteur : « Oh ! moi, je suis la plus riche, la mieux née et la plus belle ; sûrement l’empereur m’épousera. Vous autres, pauvres filles sans ancêtres, qui n’avez pour vous que votre jolie figure, vous pouvez bien renoncer à toute espérance. » Il va de soi que cette dédaigneuse personne fut punie de son dédain. Quand les candidates parurent devant l’impératrice, son fils et le premier ministre, on lui dit tout aussitôt : « Vous êtes charmante, mademoiselle, mais vous ne feriez pas une femme d’empereur. » Marie au contraire conquit immédiatement le cœur du jeune prince, et c’est elle qu’il choisit.

Tel est le récit que nous a conservé la légende. En fait, Constantin VI semble avoir marqué moins d’enthousiasme pour sa fiancée. Mais la jeune Arménienne avait de quoi plaire à la basilissa et au premier ministre. Elle était jolie, intelligente, pieuse, et surtout issue d’une famille fort modeste ; devant tout à Irène, on pensa qu’elle serait docilement soumise à la volonté de sa bienfaitrice, et que de cette belle-fille l’impératrice n’aurait à craindre nulle ambition gênante et déplacée. Le mariage fut donc résolu, et Constantin, quoi qu’il en eût, dût obéir. C’était en novembre 788.

En outre, Irène tenait attentivement son fils à l’écart de toutes les affaires. L’empereur était comme isolé dans sa propre cour, sans amis, sans influence ; en face de lui, le tout-puissant Staurakios gouvernait tout à son caprice, insolent et hautain, et devant le favori, chacun s’inclinait humblement. Finalement, le jeune souverain s’insurgea contre cette tutelle ; avec quelques-uns de ses familiers, il conspira contre le premier ministre. Mal lui en prit. Le complot ayant été découvert, Irène se sentit du même coup directement menacée : de ce jour l’ambition tua en