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Grand favori de la basilissa, ce personnage devint par sa grâce patrice, logothète du drome ; bientôt il fut le maître incontesté et tout-puissant au Palais Sacré. Diplomate, c’est lui qui négocia la paix avec les Arabes ; général, il dompta l’insurrection des Slaves et, pour rehausser encore son prestige, Irène lui accorda dans l’Hippodrome un triomphe solennel. Vainement l’armée, mécontente d’un tel chef, ne cachait point sa haine au parvenu ; lui, sûr de sa faveur, redoublait de hauteur et d’insolences. En fait, pendant vingt années, fidèlement attaché à la fortune d’Irène, toujours il tomba avec elle et remonta avec elle au pouvoir. Et peut-être cet homme énergique, actif, ambitieux, dont on ne saurait méconnaître le mérite, fut-il souvent l’intelligence directrice qui inspira les desseins de la souveraine ; mais on voit aussi quel tour assez particulier et quel aspect de camarille, donna dès le début au gouvernement d’Irène cette mainmise par les eunuques de la chambre sur tous les ressorts de la monarchie.

En même temps qu’elle changeait le personnel du gouvernement, Irène modifiait la politique générale de l’empire. Elle terminait la guerre en Orient, elle cherchait en Occident un rapprochement avec la papauté et ébauchait un accord avec Charlemagne ; surtout elle marquait en matière de religion une tolérance depuis longtemps inconnue. « Les hommes pieux, dit un chroniqueur contemporain, recommencèrent à parler librement, la parole de Dieu à se répandre sans obstacles ; ceux qui cherchaient le salut éternel purent sans difficulté se retirer du monde, et la gloire de Dieu fut de nouveau célébrée : les monastères refleurirent et le bien apparut partout. » De nouveau, les moines se montrèrent à Constantinnople ; l’entrée des cloîtres se rouvrit aux vocations longtemps contrariées ; avec ostentation, l’impératrice s’appliquait à réparer les sacrilèges du précédent régime ; elle allait en grande pompe reporter à Sainte-Sophie la couronne précieuse que Léon IV avait jadis enlevée dans la basilique ; elle replaçait solennellement dans leur sanctuaire les reliques de sainte Euphémie, jetées à la mer par l’ordre de Constantin V et miraculeusement retrouvées. Et le parti des dévots, enchanté de ces manifestations, saluait comme un miracle inespéré l’avènement de la pieuse souveraine et remerciait Dieu qui, « par la main d’une femme veuve et d’un enfant orphelin, allait renverser l’impiété et mettre fin à l’esclavage de l’Eglise. »