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Vainement leur père, avant de mourir, leur avait fait jurer de ne jamais conspirer contre le souverain légitime ; dès l’avènement de Léon IV, ils avaient été prompts à violer leurs sermens ; et quoique, après cette incartade, l’aîné d’entre eux, le César Nicéphore, eût été dépouillé de sa dignité et exilé dans la lointaine Cherson, un parti nombreux s’entêtait à travailler pour eux. D’autre part, toutes les hautes charges du gouvernement étaient occupées par de zélés iconoclastes. Le maître des offices, chef de la chancellerie, le domestique des scholes, commandant suprême de l’armée, étaient d’anciens et fidèles serviteurs du défunt basileus Constantin V. Le Sénat, les hauts fonctionnaires de l’administration provinciale n’étaient pas moins dévoués à la politique du précédent règne. L’Église enfin, que gouvernait le patriarche Paul, était toute pleine d’ennemis des images. Avec des hommes de cette sorte, Irène ne pouvait rien entreprendre ; et, aussi bien, eux-mêmes suspectaient à bon droit les sentimens de la basilissa et craignaient de sa part de prochaines tentatives de réaction. Pour réaliser les desseins de sa piété, pour satisfaire les rêves de son ambition, il fallait que l’impératrice trouvât d’autres concours et cherchât d’autres appuis.

C’est ici qu’apparut son adresse à préparer sa voie. De ses adversaires, sans merci elle brisa les uns par la force, doucement elle écarta les autres des postes où ils gênaient. Un complot s’était formé pour élever au trône les Césars ; elle en profita pour obliger ses beaux-frères à entrer dans les ordres, et afin que nul n’ignorât leur irrémédiable déchéance, elle les contraignit, aux fêtes de Noël de l’année 780, à prendre part, dans Sainte-Sophie, en présence de tout le peuple de la capitale, aux offices solennels qui marquaient ce saint jour. En même temps elle changeait peu à peu le personnel du palais. Elle poussait sa famille aux honneurs, établissait son frère, son neveu, sa cousine, d’autres parens encore. Elle disgraciait les vieux généraux de Constantin V, en particulier le terrible Michel Lachanodracon, stratège des Thracésiens, qui s’était rendu fameux par la haine farouche qu’il portait aux moines et par la joviale brutalité avec laquelle il leur imposait le mariage. A leur place, elle installa dans les grands commandemens des hommes à elle, surtout des eunuques de sa maison et de son intimité. C’est à eux qu’elle remit insensiblement toutes les grandes charges du palais et de l’administration ; c’est parmi eux qu’elle prit enfin son premier ministre, Staurakios.