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partisans. Une chose me fait douter de la portée de son esprit politique et de la lucidité de ses vues : c’est que toujours elle se flatta un peu trop tôt d’avoir réussi, et qu’à plusieurs reprises elle se heurta à des obstacles qu’elle aurait pu et dû prévoir. Elle était habile, si l’on veut, et puissante dans l’intrigue : mais dans ses façons d’agir, je trouve surtout de petites habiletés sournoises, des habiletés de femme rusée, qui parfois sans doute réussirent, mais qui ne prouvent rien pour la supériorité de son génie. J’accorde qu’elle eut de l’obstination, une belle persévérance à revenir sur l’obstacle jusqu’à ce qu’elle l’eût brisé. Mais, elle ne m’apparaît, malgré la hauteur d’âme (τὸ ϰραταιόφρον) et l’esprit viril (τὸ αῤῥενωπὸν φρόνημα) dont on lui fait honneur, ni vraiment énergique, ni vraiment courageuse.

En 797, au moment où elle accomplit le coup d’État qui renversa son fils, elle perdit la tête à l’instant décisif ; elle prit peur, elle songea à s’humilier, elle crut l’affaire manquée et pensa à tout abandonner. En 802, quand des conspirateurs préparèrent sa chute, elle se laissa détrôner sans tenter même de résistance. Faible dans la défaite, inversement, dans la victoire, elle se montra impitoyable. Et le traitement qu’elle infligea à son fils dispense> j’imagine, de parler de son cœur. Certes elle a fait de grandes choses pendant les vingt ans environ qu’elle régna ; elle a osé une révolution politique et religieuse d’une importance sans égale. Elle-même pourtant ne fut pas grande, ni par l’esprit, ni par la volonté.

Mais, quoi qu’ait été Irène, l’époque où elle vécut demeure étrangement intéressante et dramatique. Comme on l’a dit justement, « dans cette histoire byzantine qui nous fait assister à des événemens si incroyables, le règne d’Irène est peut-être l’un des plus surprenans[1]. »


III

Au moment où la mort de Léon IV donnait à Irène la réalité du pouvoir suprême, bien des ambitions rivales s’agitaient au tour de la jeune impératrice. A la cour, elle rencontrait la sourde hostilité de ses beaux-frères, les cinq fils de Constantin V, princes populaires et ambitieux dont elle avait tout à redouter.

  1. Molinier, Histoire des avis appliqués à l’industrie, I, p. 84.