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notent en elle comme un trait dominant l’amour qu’elle eut du pouvoir (τὸ φίλαρχον), — toute sa vie elle fut conduite par une passion maîtresse, le désir de régner. Elle était jeune et belle : elle ne prit point d’amant, de peur de se donner un maître. Elle était mère : l’ambition étouffa en elle jusqu’au sentiment maternel. Pour parvenir au but qu’elle s’était assigné, elle n’eut aucun scrupule ; tous les moyens lui furent bons, la dissimulation et l’intrigue, la cruauté et la perfidie. Toutes les puissances de son esprit, toutes les forces de son orgueil se tendirent vers cet objet unique, le trône. Et ce fut toute sa vie. Sa piété même, qui fut réelle et profonde, accrut et aida son ambition : piété étroite, superstitieuse, par laquelle elle se persuada qu’elle était l’instrument nécessaire des desseins de Dieu, qu’elle avait en ce monde une œuvre à accomplir, le devoir de la défendre et de ne point permettre à d’autres de la renverser. Ainsi elle accommoda au mieux les conseils de sa religion avec les suggestions que lui inspiraient son intérêt et son amour du pouvoir ; et comme elle fut, en conséquence, toujours convaincue de son droit et certaine de son devoir, sincèrement elle marcha à son but, sans hésiter devant aucun obstacle, sans se laisser détourner de sa voie par aucune difficulté. Orgueilleuse et passionnée, elle fut violente, brutale, cruelle ; tenace et obstinée, elle poursuivit ses desseins avec une inlassable et prodigieuse persévérance ; dissimulée et subtile, elle mit à servir ses projets une fécondité de ressources inouïe, un art incomparable de tisser des trames et de nouer des intrigues. Et il y a quelque grandeur assurément dans cette hantise du pouvoir suprême, qui absorbe une âme et la prend tout entière, dans cette véritable déformation psychologique, qui supprime tous les sentimens, pour ne laisser vivre que l’ambition.

Et j’ajoute volontiers qu’Irène tint assez heureusement le rôle extérieur d’une grande ambitieuse. Elle eut de la majesté, le sens de la représentation, le goût du luxe, des pompes et des bâtimens ; en quoi d’ailleurs elle était femme. Ses amis affirment par surcroît qu’elle gouverna bien, que le peuple l’aima et regretta sa chute, que son règne fui un temps de prospérité sans mélange. On verra plus loin ce qu’il faut penser de ces éloges. En tout cas, je ne saurais reconnaître à l’impératrice cette intelligence supérieure, cet esprit vigoureux, ce mâle courage, cette force d’âme dans l’infortune, que lui attribuent volontiers ses