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vieillis, bilieuses et fines, qui ont toujours l’air de mâcher de l’ironie. Il est attaché aux bureaux de la Préfecture. Cette rencontre n’était point imprévue. Je n’ignorais pas l’existence à Hiroshima d’un ménage franco-japonais ; et des amis de Tôkyô m’avaient dit : « Ne manquez pas de rendre visite à Mme Nikita : vous lui ferez un grand plaisir, un très grand plaisir, un plaisir inattendu, mais un des seuls peut-être qu’elle puisse encore attendre. »

J’admets qu’un Européen épouse une Japonaise, et je suis même tenté de croire que ceux qui ont commis cette impertinence à l’égard des Européennes n’ont pas eu lieu de s’en repentir. Un de nos compatriotes, un commerçant de Yokohama, trouva dans la petite Japonaise qu’il avait bravement menée devant Monsieur le Consul, non seulement la plus dévouée des femmes, la meilleure des ménagères, mais une auxiliaire incomparable. Aujourd’hui qu’il est mort, elle continue son commerce, et c’est merveille de la voir trôner dans son magasin avec la même aisance que si ses ancêtres avaient, depuis des siècles, vendu de la quincaillerie au faubourg du Temple. A Tôkyô, le ministre d’une des plus anciennes monarchies occidentales brava l’opinion du corps diplomatique et ne craignit point d’épouser la fille d’un très obscur samuraï. Enfin, sans aller jusque-là, il est incontestable que la Japonaise attire autant les Européens que le Japonais repousse les Européennes. Et cette attirance s’explique par bien des raisons dont toutes ne sont peut-être pas à l’honneur de notre sexe.

Un jeune Suisse, qui retournait en Europe après quatre ou cinq ans de séjour à Yokohama, me disait l’autre jour pendant son escale de Kobé :

— Mes parens tiennent à me marier et j’aurai beau faire, quand je reviendrai l’année prochaine, je ne reviendrai pas seul. Ils me destinent la fille d’un pasteur. Elle touche de l’harmonium, et ma mère m’assure qu’elle n’a pas sa pareille, pour chanter des psaumes. Elle a suivi des cours, passé des examens ; elle fait ses chapeaux ; elle brode au tambour. Bref, c’est une demoiselle accomplie. Je ne la connais pas, et, tant que je ne la connais pas, je souhaite de tout mon cœur ne jamais la connaître !… Il y avait trois ans, à la fête des pivoines, que je vivais avec une petite Japonaise de bonne famille, mais dont la mère veuve était tombée dans la misère. La petite m’a raconté qu’on avait