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vous ayez quitté l’épée pour monter au Parnasse, ils auraient exigé peut-être que leur ancien camarade conservât, même au service des Muses, un peu de ce vieil esprit de corps[1]. » Quant à Napoléon, il demanda de quel droit un « idéologue allemand » se mêlait de lui donner des conseils, et il le menaça de le « faire conduire à Vilvorde, » s’il disait encore un mot[2]. Les amis que Villers avait à Paris, Montalivet, Beugnot, réussirent à grand’peine à détourner l’orage de sa tête.

Villers fut très étonné : il avait cru de bonne foi à la puissance de la philosophie, et ne pensait pas qu’en prenant la défense de ses chers Allemands, il pût encourir la colère impériale. Au fond, il n’était pas, comme Mme de Staël, l’ennemi irréconciliable de Napoléon ; mais il confondait encore plus qu’elle deux choses assez distinctes : la philosophie et la politique.

La Lettre à Fanny de Beauharnais devait peser lourdement sur la fin de la vie de Charles Villers. D’ailleurs, il n’était nullement découragé du peu de succès de son intervention et ne manquait pas une seule occasion de défendre l’Allemagne, fort maltraitée par Napoléon. En 1808, il plaide la cause des universités du royaume de Westphalie, menacées de disparaître et rédige son Coup d’œil sur les Universités et le mode d’instruction publique de l’Allemagne protestante[3] ; il réussit à les sauver. En 1809, l’année d’Essling et de Wagram, il montre l’activité merveilleuse de la science allemande dans son Coup d’œil sur l’état de la littérature ancienne et de l’histoire en Allemagne, adressé à la troisième classe de l’Institut. Il intervenait dans la question du blocus continental, en traduisant de Reimarus les Doléances des peuples du continent au sujet de l’interruption du commerce. Il plaidait avec une ardeur infatigable la cause des villes hanséatiques, lésées dans leur richesse, et, dans un discours prononcé au Sénat de Lubeck le 25 décembre 1810, il protestait contre leur réunion à l’Empire française Bref, partout où s’étendait en Allemagne la politique napoléonienne, Villers s’appliquait à lui faire obstacle. Cette imprudente et généreuse conduite devait attirer la foudre sur sa tête : elle éclata soudain.

En janvier 1811, Charles Villers venait d’être nommé

  1. Bernadotte à Villers, de Schlobitten, 10 mai 1807. Archives nationales, dossier Villers, F7 6565.
  2. Bégin, ouv. cité, p. 53.
  3. Cassel, 1808.