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Français qui l’aidèrent à conquérir son indépendance, et qui rapportèrent dans leur patrie les premiers germes d’un gouvernement libre.

Si le protestantisme a toutes les vertus, le catholicisme a tous les défauts. Il faut lire la deuxième partie de l’ouvrage, intitulée Sur le progrès des lumières[1] : l’esprit de parti éclate à tous les yeux. Dans les pays catholiques règnent l’ignorance, la paresse, l’immoralité ; « il se commet plus de crimes dans les pays catholiques que dans les pays protestans ; » à Venise, à Naples, les prisons ne désemplissent pas ; à Berne, au contraire, elles sont presque toujours vides ; Howard n’a trouvé personne dans celle de Lausanne, trois prisonniers seulement à Schaffouse : « Voilà des faits ! » s’écrie Villers. Les protestans sont plus propres que les catholiques ; ils cultivent mieux la terre ; ils sont meilleurs philosophes, meilleurs naturalistes ; ils ont plus d’écoles, sont moins pédans ; ils connaissent la « pédagogique, » dont les catholiques n’ont aucune idée. Villers passe rapidement sur le chapitre des lettres et des arts qui, évidemment, l’embarrasse ; mais il se console en pensant que si les protestans sont moins grands artistes, ils sont meilleurs esthéticiens que les catholiques.

L’exagération est manifeste : ce livre est une œuvre de combat. Mais enfin, tel qu’il est, il représente exactement, non les idées du seul Villers, mais celles de tout un groupe, du parti philosophique et républicain ; c’est à ce titre qu’il nous intéresse. Il en reproduit l’illusion favorite, à savoir qu’il suffit de la signature d’un chef d’État pour changer la religion traditionnelle, l’esprit et les mœurs de tout un peuple, — cette autre illusion encore, qu’on peut mêler impunément la religion à la politique, — et cette autre enfin que la religion à elle seule explique la destinée d’une nation, ses vertus et ses vices. Mais, parmi beaucoup de préjugés, on remarque dans ce livre un vif enthousiasme, un amour sincère de la liberté. En cette année 1804 où le Premier Consul va mettre sur sa tête la couronne impériale, le prix que lui décerne l’Institut est une dernière manifestation républicaine ; c’est la palme que l’idéologie vaincue dépose sur le tombeau de la liberté.

Au fond, entre Bonaparte et ses adversaires, la distance est

  1. Pages 237 et suivantes.