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III

Si Charles Villers, en 1801, s’était séparé sur un point de l’idéologie française par ses attaques contre les philosophes du XVIIIe siècle, il se réconcilia avec elle, en 1804, de façon éclatante par son Essai sur l’esprit et l’influence de la Réformation de Luther. C’est un livre de parti, écrit sous l’impression des circonstances, une critique passionnée du catholicisme, une apologie de la Réforme et de l’esprit de liberté.

L’idée première de cet essai appartenait à l’Institut de France. Le 15 germinal an X, la classe des Sciences morales et politiques mettait au concours le sujet suivant : « Quelle a été l’influence de la Réformation de Luther sur la situation politique des différens États de l’Europe et sur le progrès des lumières ? » Or, la Décade philosophique et littéraire[1], qui annonçait cette nouvelle, publiait dans le même numéro le texte de la « convention entre le gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII, » autrement dit, du Concordat. Neuf jours après la séance de l’Institut, le 24 germinal (14 avril 1802) l’éditeur Migneret mettait en vente l’ouvrage intitulé : Génie du christianisme ou Beautés de la religion chrétienne par François-Auguste Chateaubriand. Enfin le 27 germinal (18 avril) jour de Pâques, le cortège consulaire s’acheminait solennellement vers Notre-Dame pour sceller le grand acte de réconciliation avec l’Eglise catholique. Il est impossible de ne pas voir la relation directe qui unit le premier de ces événemens aux deux autres : dans la pensée de l’Institut, il s’agissait, sans aucun doute, de protester contre l’acte du Premier Consul et d’opposer au catholicisme les avantages de la Réforme. On sait quelles étaient les espérances du petit groupe politique, qui s’agitait autour de l’Institut et dont Mme de Staël était un des plus éloquens interprètes : on avait cru un instant que le Premier Consul se prononcerait contre le catholicisme, choisirait la religion protestante ; la déception fut vive, l’irritation profonde. Le livre de Villers est l’écho de ces espérances et de ces regrets. En cinq mois[2], il fit son plan, rassembla les matériaux, rédigea l’ouvrage ; le 2 germinal an XII, la classe d’histoire et de littérature ancienne lui

  1. Tome XXXIII, p. 113.
  2. Préface de la 2e édition, p. XII.