circonstances. Il a été très frappé des idées de Kant sur la guerre, sur la civilisation ; c’est pourquoi il traduit ses « vues » sur l’histoire universelle ; on y remarque cette phrase significative : « Tant que les États n’emploieront leurs forces qu’à de vains et violens projets d’agrandissemens, tant qu’ils traverseront ainsi les lents efforts des citoyens vers une forme intérieure de système moral, qu’ils leur enlèveront même tout appui pour y parvenir, » la vraie civilisation, qui est le « perfectionnement de la moralité, » sera impossible ; et cependant, en dehors de ce perfectionnement, « tout le reste n’est qu’un pur semblant et que brillante misère. » Ces idées, la croyance en la perfectibilité de l’homme, l’horreur de la guerre, ne sont pas nouvelles ; elles se trouvent chez les philosophes du XVIIIe siècle Mais ce qui manquait à ces philosophes, c’était un principe de vie certain, immuable, résidant au plus profond de l’âme humaine. Ce principe, Kant a cru le découvrir, et c’est par là qu’il a ravi, enthousiasmé Charles Villers : il a nourri son idéologie.
Donc, en second lieu, Villers proclame la faillite du sensualisme du XVIIIe siècle, de la morale de l’intérêt personnel, la nécessité d’une philosophie qui « s’attache à la conscience de l’homme[1] » et puise en elle le sentiment du devoir. Telle est la grande nouveauté de sa Philosophie de Kant. En 1801, cet ouvrage eut un succès de scandale ; Villers y prenait plaisir à blesser, dans les termes souvent les plus ridicules, la susceptibilité française. Il s’annonçait en prophète et en révélateur ; on a fort bien montré qu’avant lui Kant n’était pas inconnu en France[2] ; un peu de modestie eût été nécessaire. Villers fut raillé pour son pédantisme, et c’était justice. Mais, du moins, il avait forcé l’attention publique ; on le lut ; on saisit mieux avec lui ce que d’autres commentateurs n’avaient pas su mettre en lumière, le principe puissant de moralité, qui se dégage d’une telle philosophie. Le livre venait à son heure ; c’était le temps où, sous l’influence des événemens politiques, s’opérait une réaction très vive contre les philosophes du XVIIIe siècle. Il est remarquable de voir que les coups les plus violens portés à leurs idées vinrent de l’émigration. Au moment où l’émigré Villers faisait paraître son livre, un autre émigré, furtivement rentré