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maîtresse de ceux qui, aux environs de 1800, sont de la « religion de l’Institut. » Villers, lui aussi, était de cette religion ; il l’affirme, de façon emphatique et naïve, par la dédicace de son Essai sur Kant : « A l’Institut national de France, tribunal investi d’une magistrature suprême dans l’Empire des sciences, juge national et en premier ressort de toute doctrine nouvelle offerte à la nation ! » Sa joie ne connaît plus de bornes, quand il est nommé membre correspondant de cet Institut : « Nous autres, gens de l’Institut, écrit-il, prêtres de la vérité ! » Tout Villers est dans ce mot naïf, démesurément orgueilleux : il a pris au sérieux son rôle et il l’exerce en conscience. D’autre part, comme il est de tempérament vif, ardent et d’humeur agressive, qu’il a perdu, par un long séjour en Allemagne, l’art de s’exprimer en français avec nuance et mesure, il blesse, il irrite l’adversaire, et il a la candeur de s’en étonner.

Mais cet idéologue maladroit est un esprit très bien informé, très ouvert, un précurseur même. Il faut le voir à l’œuvre.


II

Il a été, avant Mme de Staël, l’intermédiaire le plus notable entre la pensée allemande et la pensée française, et il a consacré à cette œuvre toute sa vie.

Il avait commencé son apostolat de très bonne heure, en 1797, à Lubeck. En ce temps-là vivait à Altona et à Hambourg un émigré français, Amable de Baudus, qui, dès 1791, avait quitté la France, puis, après avoir fait campagne dans l’armée des Princes, s’était réfugié en Hollande et en Allemagne, où il s’était fixé dans ces villes hanséatiques, qui devaient offrir à Villers un asile. Baudus, personnage fort intelligent et très actif, ancien avocat du Roi à la sénéchaussée de Cahors et procureur syndic du département du Lot, imagina d’occuper ses loisirs forcés, en étudiant la langue et la littérature de l’Allemagne. Il avait fondé deux journaux, la Gazette d’Altona et le Spectateur du Nord, journal mensuel « politique, littéraire et moral, » rédigé en français ; il eut pour collaborateurs à ce dernier recueil les gens de lettres émigrés, qui formaient, à Hambourg et dans les environs, un cercle brillant, où dominaient sans doute les tendances monarchiques, mais où régnait aussi un esprit moins étroit que celui de l’émigration en général, et le désir très vif de s’initier