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UN IDÉOLOGUE
SOUS LE
CONSULAT ET LE PREMIER EMPIRE

Une étude attentive de l’histoire nous apprend à nous défier des généralisations trop absolues. La prétendue unité morale, que l’on attribue quelquefois à toute une époque, n’est le plus souvent qu’un trompe-l’œil, qui dissimule la complexité réelle des idées et des caractères. Par exemple, s’il convient de signaler au début du XIXe siècle, après le grand bouleversement social de la Révolution, la renaissance du catholicisme et le recul des idées philosophiques sous le Consulat et le Premier Empire, il ne faudrait pas croire cependant que la philosophie eût complètement abdiqué ; c’est autour des philosophes, de ceux qui s’appelaient eux-mêmes et que Bonaparte appelait par dérision les « idéologues, » que se forme un groupe puissant d’opposition contre le Premier Consul et l’Empereur ; ce groupe a ses salons, celui de Mme Helvétius d’abord, de Mme de Staël ensuite ; il a son organe officiel, le journal La Décade ; il a son asile et son temple, l’Institut. Quelques années plus tard, quand l’idéologie semble définitivement vaincue en France et désormais silencieuse, elle se réfugie à l’étranger, continue la lutte contre le despotisme. C’est une Genevoise, c’est une cosmopolite, Mme de Staël, qui, pourchassée de pays en pays, lui donne sa forme politique la plus éloquente, soutient avec une ténacité inlassable les droits de la raison et de la liberté. Mais elle n’est pas seule à combattre pour cette cause. En ce temps-là vivait dans une petite ville de