Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’auraient les indigènes pour les services rendus, et l’on avait vu lord Lawrence, au cours des querelles intestines qui suivirent la mort de Dost-Mohammed, se refuser à toute intervention, de peur de mécontenter les Afghans, et ne sortir de cette neutralité voulue que lorsque la fortune se fut définitivement déclarée en faveur de Shere-Ali. En fait, le gouvernement anglais était arrivé à cette conception : c’est que les possessions territoriales importent peu pourvu qu’elles aient la porte ouverte et qu’elles offrent un minimum de sécurité pour les choses et les personnes. Le libre-échange avant tout. « C’était la doctrine de l’école de Manchester, a pu dire plus tard lord Salisbury, de considérer les colonies comme un fardeau ; » et M. Gladstone ne craignait pas de dire que le pire malheur qui pût arriver à un État était d’avoir des colonies. Comment, sous l’empire de telles idées, le Premier eût-il pu, en accédant aux désirs de Shere-Ali et aux propositions de lord Northbrook, vouloir obliger l’Angleterre à intervenir d’une manière répétée dans les compétitions et les révoltes alors sans cesse renaissantes à Caboul ? Homme d’État anglais, il avait bien osé, sous la pression des exigences de la politique traditionnelle de la défense de l’Inde, écarter, par le traité de 1872, une puissance étrangère de la frontière du haut Indus ; il ne pouvait, partisan fervent de l’école de Manchester, aller plus loin et laisser l’Angleterre se fourvoyer dans le guêpier afghan.

Sans doute, les doctrines de l’école de Manchester sont bonnes : ne pas employer la violence pour implanter l’influence de la métropole dans une contrée lointaine, n’imposer au contribuable métropolitain aucunes charges militaires ou financières pour l’administration de la colonie, asseoir la sécurité de l’Empire non sur la force, mais sur l’affection des indigènes, on n’a pas mieux trouvé en matière de politique coloniale et c’est l’idéal que toute puissance colonisatrice doit s’efforcer d’atteindre. Encore faut-il ne point se dérober aux responsabilités qu’entraîne l’application de ces principes, sinon, on risque d’aller à l’encontre du but visé et de faire naître les difficultés que l’on avait précisément voulu éviter. L’Angleterre allait faire la cruelle expérience de cette vérité.

Tout d’abord, Shere-Ali, irrité de l’avortement des négociations dont il avait pris l’initiative et supputant qu’il n’y avait aucun fond à faire sur l’appui de l’Angleterre, chercha à se