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coupée de plaines élevées, froides, arides, où poussent de maigres pâturages et entremêlées çà et là de quelques rares vallées ; elle présente une surface non moins accidentée que la Suisse ; les eaux y sont rares, le climat fort sec, le froid extrêmement rigoureux en hiver, la chaleur excessive en été, l’organisation du pouvoir y était, à l’époque de lord Auckland, encore précaire ; il n’y avait ni unité, ni permanence : près de quatre cents tribus s’y partageaient le sol ; leurs chefs entendaient vivre chacun à sa guise, et, en temps de guerre, étaient prêts à passer sans scrupules d’un service à un autre. Ils considéraient l’émir plutôt comme le premier et le plus puissant d’entre eux, parce qu’il était à la tête de la tribu des Baraksaï, que comme un monarque armé vis-à-vis d’eux de droits réguliers et définis. Ces tribus étaient de plus belliqueuses, indisciplinées, rapaces et pillardes, interceptant les sentiers des montagnes, en infestant les passes, rançonnant les caravanes, et en état d’hostilité perpétuelle les unes contre les autres. L’Afghanistan était d’ailleurs séparé des territoires alors soumis à la Compagnie des Indes par toute l’étendue de l’empire Sikh, du royaume d’Oude et du Scindh. Dans ces conditions, annexer directement l’Afghanistan aurait demandé non seulement un déploiement de forces considérables pour la conquête, mais encore le maintien d’une véritable armée pour faire régner l’ordre dans les tribus, exigé des dépenses annuelles énormes, ne fût-ce que pour assurer les ravitaillemens à une distance si lointaine, nécessité une grande tension d’efforts de la part d’une diplomatie sans cesse en éveil, qui eût été ainsi détournée de porter son attention sur d’autres territoires qui réclamaient sa vigilance ; obligé enfin le gouvernement anglo-indien à une immixtion incessante dans les affaires intérieures des tribus et à assurer la tâche singulièrement ingrate et difficile de faire entrer cette race inculte et indisciplinée dans les voies de la civilisation. Ne valait-il pas mieux, étant donné le présent état des choses, confier à un autre le soin d’organiser, de pacifier, d’unifier le pays, quitte à aider cet autre par tous les moyens dont disposait le gouvernement de l’Inde ? L’Angleterre recueillerait alors les avantages qui résulteraient d’une situation ainsi modifiée sans avoir à supporter les charges et les soucis qu’aurait nécessités cette modification. Organiser et maintenir un État afghan, puissant et allié de l’Angleterre, ayant avec l’Inde des intérêts communs et prêt à agir pour assurer la protection