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Pour résister à ce torrent, Ebn-Chalan fit appel à tous ses alliés et concentra en peu de temps 65 000 Bédouins entre Hama et Homs, sur l’Oronte. De son côté, le pach de Damas amena une armée de 15 000 soldats turcs, albanais, syriens et égyptiens. La lutte fut acharnée. Pendant trente-sept jours consécutifs, Arabes, Bédouins et Osmanlis essayèrent vainement de forcer les retranchemens derrière lesquels ils s’abritaient en face les uns des autres. Le trente-huitième jour, les Wahabites réussirent à pénétrer dans le camp turc ; les Bédouins et les Osmanlis se réfugièrent derrière l’Oronte. Ainsi 230 000 hommes se livrèrent une bataille inconnue au moment même où dans les plaines saxonnes, des centaines de milliers d’autres hommes allaient jouer le sort de l’Europe. Partout la politique de Napoléon est présente, en Arabie comme en Allemagne.

S’il faut en croire le récit de Fatalla qu’a publié Lamartine, une offensive adroite prise par Ebn-Chalan mit les Wahabites en déroute quand ils se croyaient sûrs de la victoire. La fin est brève. Les Wahabites rentrèrent dans le Nedjed, et lady Stanhope se retira au mont Liban, où elle vécut jusqu’à sa mort, en 1839, dans un isolement farouche. Quand à Ebn-Chalan, il revint en triomphateur sur le Tigre et l’Euphrate. Les Hanezès lui jurèrent à nouveau fidélité. Le pacha de Damas devint son allié. Toutes les tribus bédouines entrèrent dans la confédération qu’il dirigeait. Accompagné de Lascaris, il poussa même plus loin qu’il n’avait jamais été, et, longeant le littoral du golfe Persique, il alla jusqu’au Mékran, aux frontières du Beloutchistan et de l’Afghanistan, compléter ses alliances. Saoud lui-même, le roi des Wahabites, signa avec Ebn-Chalan un traité de paix et d’alliance. D’Alep à l’Inde, la route était libre, prête au passage du conquérant impérial. Le consul français à Bagdad, Raymond, put s’en assurer lui-même et pousser un voyage d’études et d’explorations dans le Beloutchistan, et Lascaris, arrivé en avril 1814 à Constantinople, put annoncer à l’ambassadeur français Andréossy le succès de ses combinaisons. Perdue en Europe, la partie engagée par Napoléon était gagnée en Asie, aux portes de l’Afghanistan et de l’Inde.