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l’ancienne Palmyre, 50 000 Bédouins assemblés acclamèrent comme une reine la prophétesse venue d’Occident, pendant que des jeunes filles, juchées en statues sur les piliers encore debout du temple du Soleil, lui lançaient des gerbes de fleurs et chantaient ses louanges. Le pacha de Damas fut subjugué ; le chef des Hanezès devint son agent ; et, quand Lascaris arriva aux environs de Damas, elle le convoqua impérieusement comme ferait un roi pour son sujet. Lascaris, inquiet, obéit. Étrange rencontre en vérité, et bien caractéristique de cette génération si féconde en surprises, que celle de la nièce de Pitt et de l’agent de Napoléon, de l’Anglaise habillée en homme et du Français qui autrefois s’était fait moine chevalier, tous deux devenus Arabes et cherchant à contrecarrer leurs projets ennemis à la lisière du désert.

L’entrevue fut, comme bien on pense, sans résultats. Ebn-Chalan approchait avec les Chammars, brûlant de venger dans le sang la déloyauté des Hanezès et de battre le pacha de Damas comme il avait battu le pacha de Bagdad. On allait en venir aux mains, quand un facteur nouveau intervint dans la lutte d’influence qui se jouait entre l’Angleterre et la France aux confins de la Syrie et imprima à cette lutte des proportions formidables. C’étaient les Wahabites qui arrivaient en masse fin décembre 1812, du centre de l’Arabie. Ils étaient 150 000 guerriers.

C’étaient toutes les tribus du Nedjed qui se ruaient ainsi et comme une avalanche dans le bassin du Haut-Euphrate. Convertis à la fin du XVIIIe siècle à la réforme d’Abd-el-Ouab, elles avaient fait irruption de tous côtés hors de leurs vallées montagneuses et étendu leurs conquêtes, dans un dessein de propagande religieuse. Elles s’étaient emparées des villes saintes, la Mecque et Médine, avaient imposé le tribut à l’iman de Mascate, battu le pacha de Damas. Les Anglais, qui n’avaient pas été longtemps à comprendre que les progrès des Wahabites pouvaient devenir menaçans pour le sultan, alors en termes d’alliance avec Napoléon, leur prêtaient appui et comptaient se servir d’eux pour fermer au conquérant la route de l’Afghanistan et de l’Inde par la vallée de l’Euphrate. À leur instigation, les Wahabites avaient déjà tenté à plusieurs reprises la conquête de Damas et de la Syrie. Repoussés parce qu’ils n’étaient pas en nombre, ils envahissaient maintenant le pays, toutes leurs forces réunies, comme à l’époque des grandes migrations de peuples.