question. On racontait qu’une princesse anglaise, la fille même du roi, parcourait la Syrie, avec une suite nombreuse, des richesses immenses qu’elle prodiguait en cadeaux et en fêtes coûteuses ; que le pacha de Damas se multipliait autour d’elle, au point qu’on ne savait plus s’il la protégeait ou lui obéissait et qu’elle avait détaché les Hanezès de leur alliance récente avec les Chammars, ruinant ainsi toutes les combinaisons de l’envoyé français et d’Ebn-Chalan. Ce dernier et Lascaris se hâtèrent vers la Syrie. Le plus étonnant est que la nouvelle se trouva vraie.
Sans doute l’Anglaise n’était pas fille du roi britannique, mais c’était une fort grande dame puisqu’elle n’était rien de moins que la petite-fille du célèbre lord Chatham, premier ministre de la couronne pendant la guerre de Sept-Ans, et la nièce de William Pitt, premier ministre aussi, celui-là même qui avait voué à la France une haine à mort et avait organisé contre elle toutes les coalitions européennes de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe siècle. Bien mieux, elle avait été l’auxiliaire et la plus fidèle collaboratrice de son oncle, avait pris la direction de sa maison et presque partagé avec lui l’exercice du pouvoir, au point que le roi disait à Pitt qu’il avait un ministre meilleur que lui et que c’était sa nièce, lady Esther Stanhope : ce dont convenait Pitt avec orgueil. Ayant perdu son oncle en 1806, puis, le même jour, en 1809 son frère et son fiancé, tous deux tués à la même bataille contre les Français en Espagne, lady Stanhope avait dit adieu à l’Angleterre sans espoir de retour, et s’était embarquée pour le Levant avec l’intention de s’y créer une nouvelle vie. Elle rêvait de révolutionner l’Orient et de s’y tailler un empire, soit en Arabie, soit en Syrie. Y avait-il quelque chose d’impossible pour la nièce de Pitt et n’avait-on point vu un simple lieutenant d’artillerie, issu de médiocre famille, se hisser jusqu’à la pourpre impériale sur le continent ?
Vêtue en Arabe, armée du yatagan, qu’elle remplaça plus tard par une masse d’armes, du poignard et de pistolets, elle fit au printemps de 1812 une entrée triomphale en Syrie, parcourut avec sa suite les villes et les campagnes et vit accourir à elle les populations avides de voir cette princesse lointaine, chrétienne et déjà orientale d’aspect, par qui allaient sans doute se réaliser les mystérieuses prophéties. À Tadmor, aux ruines de