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l’Afghanistan et le Beloutchistan, les Anglais comptaient bien avoir fermé toutes les voies d’accès, soit maritimes, soit terrestres, vers l’Hindoustan, et avoir pris toutes les mesures nécessaires à la sécurité de leur domination, quand tout se trouva remis en question par un événement extraordinaire et si vraiment étrange qu’il mérite bien d’être noté ici, — d’autant qu’il est très mal connu, que les historiens en Europe l’ignorent, et qu’on en chercherait vainement l’indication dans les ouvrages les plus récens sur l’Asie centrale et l’Inde.

En même temps que Napoléon envoyait Gardanne à Téhéran, il avait chargé un ancien chevalier de Malte, Louis de Lascaris-Vintimille, d’une mission secrète en Syrie. Lascaris devait apprendre l’arabe, entrer en relations avec les Bédouins, dénombre leurs tribus, se ménager parmi eux des alliances jusqu’à la Mésopotamie et au golfe Persique, les grouper en une vaste confédération indépendante de toute sujétion à l’égard de la Sublime Porte, et créer ainsi une organisation en mesure de tenir ouverte à l’Empereur une route sur l’Afghanistan, le Beloutchistan et l’Inde. Parti d’Alep au mois de février 1810, avec un jeune Maronite, nommé Fatalla, qui nous a laissé un récit de l’expédition, Lascaris se rendit chez les Chammars, puissante confédération de tribus nomades venues un siècle auparavant du sud de l’Arabie s’établir dans la partie occidentale de la Syrie. Ayant su capter la confiance d’Ebn-Chalan, chef de la plus importante de ces tribus, qu’on avait surnommé l’exterminateur des Turcs, parce qu’il avait battu le pacha de Bagdad, il lui laissa entrevoir l’alliance et la venue prochaine du grand empereur d’Occident et lui persuada de se mettre à la tête d’une vaste confédération des tribus arabes pour être mieux à même de le recevoir. Ebn-Chalan était un homme de valeur. Il écouta les conseils de Lascaris, et, pour se faire la main, commença par battre les Hanezès, tribu arabe qui vivait sur les confins de la Mésopotamie, le long de l’Euphrate, et ennemis jurés des Chammars. Ebn-Chalan les força à signer un traité d’alliance, puis profita de ce succès pour imposer de gré ou de force son autorité à toutes les tribus chammars, ainsi qu’à toutes les tribus arabes de Syrie et de Mésopotamie.

On en était là lorsqu’une nouvelle incroyable, grossie de bouche en bouche à travers le désert, parvint à Lascaris et à Ebn-Chalan, laquelle, si elle était exacte, remettait tout en