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espérait diriger une armée d’invasion. Des vaisseaux de guerre transformés en flûtes et portant des troupes d’infanterie et d’artillerie devaient traverser l’Océan Indien et donner la main à Tippo-Sahib, sultan de Mysore, l’irréductible adversaire des Anglais. Bonaparte avait écrit du Caire à Tippo-Sahib, et presque tous les princes du Dekkan s’étaient déclarés favorables aux visées françaises. Dans l’attente du grand événement, le Nizam d’Haïderabad avait levé une armée de 14 000 hommes, commandés par des officiers français et notamment par un nommé Raymond. Admirablement équipées et disciplinées, les levées de ces officiers marchaient au combat avec le drapeau de la Révolution française flottant au-dessus de leurs rangs, et le bonnet phrygien gravé sur leurs boutons. Le chef de la plus puissante dynastie mahratte, Scindiah, avait une armée organisée à l’européenne de 30 000 fantassins et de 18 000 cavaliers, que lui avaient créée Boigne, aventurier savoisien, et Perron, officier de marine au temps du bailli de Suffren. Un autre puissant chef mahratte, Holkar, avait réuni une armée de 100 000 hommes. Malheureusement pour les princes indiens qui s’étaient tant avancés, les troupes françaises attendues ne parurent point, et les Anglais en profitèrent pour les écraser tous. Tippo-Sahib mourut sur la brèche de Seringapatam. Le Nizam dut licencier son armée ; Scindiah et Holkar, battus, durent faire leur soumission.

Mais Bonaparte n’avait pas renoncé à son projet d’arracher l’Inde aux Anglais. Devenu premier consul, il croyait toujours que ce n’était guère qu’en Orient qu’on pouvait faire quelque chose de réellement grand. L’Hindoustan le fascinait, et à peine eut-il en mains le pouvoir qu’il s’occupa de réaliser le rêve qu’il avait conçu en Égypte. Seulement, les circonstances n’étaient plus les mêmes qu’en 1798. La flotte française avait été détruite à Aboukir ; l’évacuation de l’Égypte avait eu lieu ; les Anglais dominaient les mers : il ne pouvait plus être question d’utiliser la voie maritime et de débarquer un corps expéditionnaire sur la côte du Dekkan. C’est alors que fut conçu par son génie inventif un projet d’attaque de l’Inde tout différent de celui que les nations européennes avaient adopté jusqu’alors.

Par-dessus les sommets de l’Hindou Kouch, l’Inde est reliée à l’Europe au Nord-Ouest par les steppes du Turkestan. Une armée venant d’Europe peut donc envahir l’Inde dans cette