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dissipé leurs craintes. On a pu se rendre compte, à ce moment, de l’esprit dans lequel les inventaires seraient faits. Néanmoins les évêques et les curés ont cru devoir les accompagner d’une protestation formelle, ce qui était leur droit. Ils ne savaient pas encore quelle serait leur attitude définitive envers la loi de séparation, et l’inventaire était incontestablement le premier pas dans l’application de cette loi. L’imprudence a été de donner à la protestation une solennité trop grande en y associant les fidèles. Il aurait fallu être sûr qu’ils ne dépasseraient pas la mesure exacte où le clergé avait l’intention de se tenir lui-même. On ne l’était pas, et, si on a cru l’être, on s’est trompé.

Tout le monde a commis des fautes et a eu des torts dans cette affaire. Le premier tort appartient au gouvernement. Il savait fort bien que si la loi de séparation cause de vives appréhensions aux catholiques, ces appréhensions sont encore augmentées par l’incertitude où on est encore de ce que sera le règlement d’administration publique dont l’élaboration a été confiée à une commission mi-partie politique et mi-partie administrative. Que sortira-t-il de là ? Les règlemens d’administration publique, sous prétexte d’assurer l’application de la loi, en ont quelquefois dénaturé le caractère et aggravé les dispositions. Nous espérons qu’il n’en sera pas ainsi dans le cas actuel ; mais, au total, nous n’en savons rien ; personne n’en sait davantage, et les catholiques se sont retranchés dans l’expectative. Cette attitude n’a pas été seulement celle des fidèles, des curés et des évêques ; c’est encore celle du Souverain Pontife, et nous aurons dans un moment à en parler. Revenons au gouvernement. La situation étant ce qu’elle est, la plus simple prévoyance devait lui conseiller de ne procéder aux inventaires que lorsque le règlement, ou les règlemens d’administration publique seraient terminés et publiés. Les catholiques auraient su alors à quoi s’en tenir sur l’ensemble du régime qu’on avait l’intention de leur appliquer : ils auraient pris leurs résolutions en conséquence. On dira peut-être que le gouvernement est souverain en France, et qu’il n’a pas à attendre le consentement de Rome pour y appliquer une loi de l’État. Soit ; nous n’y contredisons pas ; cette opinion est la nôtre ; mais il y a des affaires complexes qui touchent à tant d’intérêts et de droits divers qu’on ne saurait les traiter, ni surtout les régler sans ménagemens. Rien ne dispense le gouvernement d’apporter un certain doigté, même dans l’exécution de la loi. C’est la partie supérieure de l’art de gouverner : si elle n’existait pas, il suffirait de mettre au pouvoir un