Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été possible de devenir sa femme. Pendant son emprisonnement à la Tour, elle ne cessa point d’affirmer que, sans avoir mérité la mort, elle l’attendrait avec joie, afin de pouvoir être unie à l’homme qu’elle aimait. Et sur l’échafaud, après avoir accordé en souriant au bourreau le pardon qu’il lui avait demandé à genoux, elle s’écria : « Je meurs reine ; mais combien j’aurais préféré pouvoir mourir la femme de Culpeper ! » Après quoi, elle pria ardemment, et puis, toute souriante, posa sa tête sur le billot.

Elle était certainement coupable de n’avoir pas tout de suite effacé de son cœur le souvenir de son ancien fiancé, pour ne plus aimer et adorer au monde que le grand roi qui avait daigné l’admettre à l’honneur de divertir sa vieillesse. Mais quand on songe, d’une part, à ce qu’était alors devenu ce roi, et quand on découvre, d’autre part, dans l’enquête officielle instituée et poursuivie par les ennemis acharnés de Catherine Howard, les pièges de toute sorte qui lui furent tendus, dès le lendemain de son mariage, pour la maintenir en rapports constans avec Culpeper, on ne peut s’empêcher de ressentir pour elle beaucoup plus de pitié que d’indignation. Ou plutôt même on est tenté de s’émerveiller que, dans ces conditions, elle n’ait pas été plus coupable : car, en l’absence de toute preuve pour l’accuser, on n’a pas le droit de mettre en doute la sincérité de la confession qu’elle a faite en mourant. Peut-être avait-elle pu, il est vrai, refuser de devenir la femme d’Henri VIII : mais c’était là une forme de résistance que le vieux roi n’admettait guère, et qui n’aurait pas été admise non plus par les oncles et cousins de Catherine, trop heureux d’un tel moyen pour assurer la prépondérance du parti catholique. Dans ce mariage comme dans les précédens, la politique a joué le rôle principal : elle l’a joué aussi dans le dénouement du mariage ; et c’est elle encore qui, depuis bientôt quatre cents ans, contribue, sans qu’on s’en doute, à noircir la mémoire de Catherine Howard. Et puisque la « protestante » Anne Boleyn a trouvé de nombreux défenseurs, il serait à souhaiter qu’un biographe impartial, ne fût-ce qu’à l’aide des documens recueillis par M. Martin Hume, essayât de réviser le procès de cette seconde des « mauvaises femmes » d’Henri VIII, en oubliant qu’elle a eu, parmi ses autres torts, celui d’avoir été une « catholique. »


T. DE WYZEWA.