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d’aujourd’hui ne peuvent guère respecter la mémoire de la première reine qui a souhaité et favorisé la conversion de l’Angleterre ; mais, au reste, il ne semble pas que les convictions protestantes d’Anne Boleyn aient jamais eu d’autre fondement que son ambition personnelle ; et nombre de faits cités par M. Hume nous prouvent qu’elle aurait été toute prête, pour garder sa couronne, non seulement à approuver le retour de son pays au catholicisme, mais à faire brûler ou décapiter tous ceux qui, autrefois, avaient été ses collaborateurs dans la préparation de la rupture avec Rome.


Anne Boleyn fut décapitée le matin du 19 mai 1536. Le matin du 20 mai, dans la chapelle du palais d’Hampton Court, Henri, — dont l’ambassadeur impérial Chapuys disait que « jamais homme n’avait porté ses cornes plus allègrement, » — épousait une jeune fille de ving-cinq ans, lady Jeanne Seymour. On lui a souvent reproché son excès de hâte, en cette circonstance ; et lui-même, du reste, s’en est repenti : car, quelques jours après, apercevant à sa Cour deux jolies jeunes filles qu’il n’y avait encore jamais rencontrées, il a avoué à ses confidens qu’il regrettait « de n’avoir pas vu ces jeunes filles avant de se marier avec Jeanne Seymour. » Mais depuis le moment où, en se constituant le pape de son église, il s’était senti maître absolu de ses actes, aussi bien devant Dieu que devant les hommes, délivré désormais de tout scrupule de conscience, il n’admettait plus qu’aucun obstacle le gênât dans la satisfaction immédiate et complète de ses désirs royaux. Et sans doute il n’aurait point tardé à congédier Jeanne Seymour, si celle-ci, le 12 octobre 1537, ne lui avait donné un fils, et n’était morte, des suites de ses couches, le 24 octobre suivant.

Il l’avait cependant épousée par amour, elle aussi : encore que, au dire de Chapuys, un des motifs qui l’avaient décidé à ce mariage fût la connaissance qu’il avait de plusieurs aventures galantes de la jeune fille. « Car, écrivait Chapuys, il va l’épouser sous la condition de la prendre vierge ; et puis, quand il voudra divorcer, de nombreux témoins se trouveront pour certifier qu’elle ne l’était pas. » Quoi qu’il en soit, Jeanne Seymour ne peut avoir inspiré au Roi qu’un caprice tout à fait passager. Dans l’admirable et fameux portrait d’elle que possède le musée de Vienne, tout le génie d’Holbein n’est point parvenu à revêtir de la moindre nuance de beauté, ni de gentillesse, ce gros visage commun, avec son front bas, son large nez, et l’empâtement de son double menton En réalité, le mariage d’Henri avec Jeanne Seymour