Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle ; le sang de son père, le contact de son beau-père et de son mari, l’atmosphère de mensonge et de ruse qu’elle a respirée dès l’enfance, l’ont formée, elle aussi, à ne pas trop s’embarrasser sur le choix des moyens, pour parvenir aux fins qu’elle avait en vue. Mais surtout elle a été, toute sa vie, inintelligente, entêtée, maladroite ; et, si elle a eu bien raison de dire qu’on lui avait fait souffrir « l’enfer sur la terre, » elle n’est pas sans avoir, elle-même, beaucoup contribué à s’attirer son sort. Pendant les longues années de sa puissance, jamais elle n’a essayé de deviner le caractère de son mari, ni de prévoir le danger qu’il y aurait, pour elle, à cesser de lui plaire ; plus tard, quand s’est posée la question du divorce, elle n’a écouté que son orgueil, et, soit par inintelligence foncière ou par aveuglement, elle s’est refusée à comprendre les suites désastreuses qu’allait immanquablement entraîner, pour sa religion, sa résistance à un projet où ses plus sincères amis lui conseillaient de se résigner[1]. Encore lui aurait-il été facile, jusqu’au bout, de tirer parti du dévouement de ces amis, de la respectueuse sympathie que lui gardait la nation anglaise, et de maintes chances favorables que, sans cesse, le hasard venait lui offrir ; mais elle n’a rien vu de ce qui se passait autour d’elle, toute à la conscience de son bon droit, et peut-être au plaisir de son entêtement. A ne la considérer que comme femme, comme héroïne de roman ou de tragédie, aucune destinée ne nous apparaît plus émouvante, plus dramatique, que la sienne : sans compter que, sous tous ses défauts, elle avait un cœur d’une bonté merveilleuse, et que sa conduite parmi les persécutions, pour déraisonnable qu’elle ait pu être, atteste en elle une force d’âme, un courage, une résignation chrétienne, dont ses pires ennemis ont été touchés, depuis Cranmer et Cromwell jusqu’à Henri VIII. A la considérer comme reine, l’historien est tenu de la juger plus sévèrement, de reconnaître que son titre de reine lui imposait des devoirs qu’elle n’a pas remplis, et, en particulier, d’assigner à cette ardente catholique une très grande part de responsabilité dans la conversion de l’Angleterre au protestantisme.


Henri VIII n’avait épousé Catherine, la veuve de son frère, que par convenance politique. : c’est par amour qu’il a épousé sa seconde femme ; et cet amour passionné du gros homme s’explique quand on

  1. Le Vatican lui-même, — ainsi qu’il résulte d’un entretien du cardinal Salviati avec le représentant de l’Empereur à Rome, — souhaitait vivement que Catherine, pour éviter un schisme, consentit a l’annulation de son mariage.