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microbe, de la souillure morale, du tort fait au prochain ; ils ont peur de tout, même d’avoir peur…

Parmi les impulsifs, les uns boivent : ce sont les dipsomanes, si bien décrits par Magnan, et les toxicomanes, qui absorbent de l’alcool, de l’éther ou de l’opium, et chez lesquels l’intoxication est la conséquence, non la cause, des troubles psychiques. Les autres volent : ce sont les voleurs à l’étalage, les voleurs des grands magasins, les kleptomanes, qui sont fascinés par un objet à voler, objet parfois inutile, qu’ils ne gardent pas ; ce sont les collectionneurs, qui ne déroberaient pas deux sous ou cent mille francs, mais volent un timbre-poste ou un caillou. D’autres inventent, abandonnent une position lucrative, se ruinent et ruinent leur famille pour réaliser une série d’imaginations bizarres, parfois ingénieuses, toujours irréalisables. Je n’insiste pas sur les régicides (si bien étudiés par Regis), sur les incendiaires, les processifs, les jaloux, les persécutés persécuteurs, les prétentieux mégalomanes, les impulsifs sexuels (exhibitionnistes, satyres)… et je dirai seulement un dernier mot des voyageurs, des vagabonds impulsifs.

Il ne suffit pas, pour être classé dans ce dernier groupe, d’avoir, comme M. Jean Richepin, suivi une troupe de bohémiens et d’avoir chanté sur les routes avec des imprésarios étranges. Mais j’ai déjà raconté[1] l’histoire de ce malade de Charcot qui, dans une crise d’automatisme ambulatoire (qui dure cent quatre-vingt-neuf heures), va de Paris à Brest en chemin de fer et est emprisonné pendant plusieurs jours avant de pouvoir établir sa non-culpabilité et son état de maladie, pourtant attesté par une consultation de Charcot. Ces malades à fugues, qui sont nombreux et ont été très bien étudiés par Meige (le Juif Errant à la Salpêtrière), prouvent, mieux que tous les exposés théoriques, l’existence des demi-fous, leur caractéristique clinique, et surtout l’importance qu’a leur étude, non pas seulement pour les médecins, mais pour la société tout entière.

Bien des tribulations auraient été épargnées au malheureux malade de Charcot si, à défaut du gendarme, les magistrats avaient mieux connu ce genre de malades. Évidemment, ce n’était pas là un fou au sens complet du mot, puisque à Paris et à Brest il répondait et raisonnait très bien ; mais ce n’était pas non

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1905.