Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettre très tendre et très familière, » la dépose sous l’autel de Notre-Dame et, comme la grille est fermée, voit bien que le ciel lui-même est ligué contre lui ; — Le Tasse, qui est un lypémaniaque halluciné ; — Gérard de Nerval, qui est mystique, occultiste, halluciné, buveur, nomade et bohème, qui promène au Palais-Royal un homard vivant au bout d’un ruban bleu, est interné plusieurs fois chez le docteur Blanche, et finit par se pendre dans un cabaret ignoble, un garni à deux sous la nuit, dans la rue de la Vieille-Lanterne, avec un cordon de tablier qu’il présentait comme la ceinture de Mme de Maintenon quand elle faisait jouer Esther à Saint-Cyr ou la jarretière de la reine de Saba ; — Frédéric Nietzsche, qui a été interné à plusieurs reprises dans des maisons de santé et y a fini, dément incurable ; — Schopenhauer, qui a une hérédité névropathique très lourde et présente une série de bizarreries et d’originalités… Et je ne parle pas de Flaubert qui fut hystéro-épileptique, d’Hoffmann, d’Edgar Poë, qui furent des dipsomanes, de Watt, de Molière, de Voltaire, qui furent hypocondriaques, de Bernardin de Saint-Pierre, qui fut halluciné, etc., etc.

Ma thèse est suffisamment démontrée par ces exemples illustres : les demi-fous peuvent être fort intelligens, avoir du talent, voire même du génie. Cela ne veut certes pas dire que le génie est une névrose (Moreau de Tours), encore moins qu’il est de l’épilepsie (Lombroso)[1]. Chez les supérieurs intellectuels, on trouve souvent des névroses ; mais cette supériorité intellectuelle n’est nullement un symptôme et une manifestation de la névrose. On ne doit pas dire non plus, avec Réveillé Parise, que la névrose est une conséquence de la supériorité intellectuelle.

L’explication de cette coïncidence très fréquente est dans la multiplicité et la distinction (rappelées plus haut), des divers centres psychiques du cerveau. Quand le même homme est à la fois névrosé et supérieur, il est névrosé par une zone de son système nerveux et supérieur par une autre.

  1. Divers auteurs (Henry Joly, Regnard et, tout récemment, Étienne Rabaud) ont combattu les idées de Lombroso. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que la documentation sur laquelle s’appuie Lombroso est insuffisamment contrôlée. Avec M. Lanson, il faut regretter « la légèreté avec laquelle ces hommes de science recueillent les faits de biographie et d’histoire littéraire sur quoi s’échafaudent les théories » et répéter (avec M. Paul Bourget) qu’on doit toujours se méfier des « anecdotes. »