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conque pour en faire un homme. Entre l’amibe et l’homme, il n’y a pas seulement une différence de quantité, mais une différence de qualité, qui exclut toute identification.

Il en est de même pour les phénomènes nerveux de l’homme. Entre le réflexe élémentaire qui fait sauter la jambe quand on percute au-dessous de la rotule, et le phénomène psychique le plus élevé d’un Shakspeare, d’un Wagner ou d’un Victor Hugo composant un chef-d’œuvre, on peut décrire une infinité de termes de transition, qui établissent une sorte de sériation continue d’un phénomène à l’autre. Qu’est-ce que cela prouve ? Que l’un et l’autre phénomène sont des phénomènes nerveux, comme la série de tout à l’heure prouvait que l’amibe et l’homme sont l’un et l’autre des êtres vivans ; mais tout cela ne prouve nullement que ce soient des phénomènes ou des animaux identiques et qu’il ne faille pas les étudier à part et séparément l’un de l’autre.

Cela posé, toute la théorie du bloc unique s’effondre.

Depuis Claude Bernard on admet (et on admettait même avant lui) que les phénomènes pathologiques sont de même nature que les phénomènes physiologiques ; les uns et les autres sont des manifestations de la vie, du fonctionnement du même être vivant. Mais cela n’empêche pas que les phénomènes pathologiques ou morbides soient différens des phénomènes physiologiques ou normaux. La fièvre est un symptôme tout à fait différent de la précipitation du pouls causée par une émotion ; la paralysie est autre chose que la faiblesse momentanée d’un muscle fatigué. Le rêve n’est pas l’hallucination, encore moins le délire… Les frontières de la maladie peuvent être parfois difficiles à préciser, à cause de notre ignorance ; elles peuvent être modifiées dans leur tracé, au fur et à mesure que nous savons mieux analyser le sujet et diagnostiquer plus vite son état. Mais ces frontières existent ; il y a des malades et des non-malades.

Ceci est vrai du fonctionnement de notre cerveau psychique : chez les uns, ce fonctionnement est normal ; chez d’autres, il est anormal ou morbide. Il ne faut donc pas faire un seul bloc des raisonnables et des fous. Dans les malades, nous avons vu déjà qu’il faut distinguer ceux qui le sont tout à fait, les déraisonnables ou les fous, et ceux qui le sont à un moindre degré ou qui ne le sont que passagèrement dans de courts accès transi-