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corps de la nature. » Tout est déterminé chez l’homme ; rien n’est libre ; nous n’avons que l’ « illusion de la volonté. » « Ayons donc, ajoute M. Duprat, la franchise de dire, d’enseigner que la liberté, telle qu’on la conçoit trop souvent, est une illusion due, comme Spinosa l’avait pressenti, à l’ignorance de la plupart des causes déterminantes de nos décisions. » Pour Schopenhauer, les « actes humains sont absolument déterminés… La volonté est un phénomène de même ordre que les réactions du monde inorganique. » Pierre Laffitte : « Le résultat le plus fondamental du développement de la science est que tous les phénomènes sont soumis à des lois invariables, depuis les phénomènes géométriques jusqu’à ceux de l’homme et de la société… » Enfin M. Albert Bayet : « Dès l’instant qu’on admet, dans le monde social, des lois en tout point semblables à celles qui régissent la chute d’une pierre, il est aussi puéril de rendre un individu, quel qu’il soit, responsable de ses actes, que de blâmer l’arbre chétif ou de féliciter l’arbre vigoureux. »

Voilà la théorie du bloc unique bien complétée, unifiée et poursuivie dans ses dernières conséquences : il ne peut pas être question de demi-fous et de demi-responsables, puisqu’il n’y a pas même à distinguer les fous des raisonnables et les responsables des irresponsables.


L’entière édification de cette doctrine repose sur le développement de cette idée que je crois fausse et anti-scientifique : l’existence d’un grand nombre d’intermédiaires entre deux êtres ou deux phénomènes prouve l’identité de ces deux êtres ou de ces deux phénomènes. Ou encore : deux termes d’une série sont identiques, quand on peut les relier l’un à l’autre par une série continue d’autres termes.

Ceci est vrai des nombres : entre neuf et trois cents, il n’y a qu’une différence de quantité ; c’est encore vrai des grandeurs ou des poids, ou d’une manière générale des termes qui varient dans un seul sens, de l’un à l’autre ; mais le principe n’est plus du tout applicable aux êtres vivans ou aux phénomènes de la vie. Entre un être inférieur et une colonie de ce même être inférieur, il n’y a qu’une différence de nombre et de degré ; mais entre l’amibe et l’homme, on aura beau accumuler les termes de transition, on n’établira pas leur identité. Il ne suffit pas d’ajouter l’amibe à lui-même, de le multiplier par un nombre quel-