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main-d’œuvre correspondît à une quantité de production plus grande, afin que chaque ouvrier, produisant beaucoup plus qu’il ne consomme, la part de chacun dans la consommation générale pût s’accroître. Tel a été le mécanisme du progrès industriel qui a changé, à notre avantage, l’ancien rapport entre la production et la consommation de toutes choses.

Mais cette révolution a eu pour effet de créer au profit de ceux qu’on pourrait nommer les capitaines de la production, entraîneurs et organisateurs du travail national, un privilège d’argent, précaire et bref sans doute, mais considérable, et dont le résultat a été d’établir une aristocratie pécuniaire au sein de cette démocratie politique, et d’en étager la hiérarchie sur des bases beaucoup plus larges, et avec des degrés beaucoup plus distancés que ceux d’autrefois. De sorte que, pour arriver à ce que les moins aisés d’entre nous fussent deux fois plus aisés que n’étaient leurs grands-pères, il a fallu concéder aux plus riches d’entre nos parvenus de l’usine ou du comptoir la faculté de devenir trois, quatre ou six fois plus riches que les parvenus du fonctionnarisme monarchique et du féodalisme militaire.

On se ferait pourtant une idée très fausse de la réalité des choses, si l’on tirait de l’histoire des recettes privées cette conclusion que l’écart a augmenté entre les conditions humaines. Théoriquement, au point de vue des chiffres, ce serait vrai. Pratiquement, au point de vue des faits, c’est le contraire qui est arrivé. L’étude du détail des dépenses nous l’apprendra. Nous y verrons comment le mouvement des prix a permis au travailleur, avec son salaire doublé, d’améliorer sa vie plus que les riches ne pouvaient embellir la leur avec leurs fortunes quadruplées.


Vte G. D’AVENEL.