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et parvient à se faire offrir, — en mettant aux enchères les fonctions publiques, — ce qu’il ne peut ni prendre, ni demander.

Les « généraux » des finances et leurs officiers de tout grade, chargés de lever des contribuables et de ranger en bataille cette armée de pistoles, d’écus et de louis d’or, en gardèrent une bonne part. L’État le savait un peu, mais n’en avait cure, puisqu’il lui fallait de l’argent et qu’il n’avait pas le choix des moyens. De temps à autre, sous prétexte de réviser leurs comptes, il rançonnait légèrement ses voleurs ; petit impôt supplémentaire, levé sur les collecteurs d’impôts.

Cette création de la fiscalité, au XVIIe siècle, permit au partisan Le Camus et à Mathieu Garnier, trésorier des parties casuelles, de gagner, qui 29, qui 30 millions de francs ; au fermier des gabelles Feydeau de laisser 1 900 000 francs de revenu ; au payeur des rentes Le Ragois et au surintendant Bullion de se faire des rentes, l’un de 2 700 000 francs, l’autre de 3 300 000 francs. De même la création de la féodalité, au moyen âge, avait permis à Bernard le Louche de se faire comte d’Armagnac, à Guillaume Taillefer de s’instituer comte d’Angoulême, à Thibaut le Tricheur et à Godefroy le Barbu de gagner le comté de Champagne et le duché de Brabant.

A côté de ceux qui se taillaient de grands fiefs d’argent dans l’anarchie financière, de moins hardis, de moins heureux, obtenaient encore des lots sortables : Lambert happait 13 millions, La Bazinière, 12, Puget, trésorier de l’Épargne, une dizaine.

Un demi-siècle plus tard la source était tarie, l’ordre s’établissait ; il n’y eut plus à rafler dans les coffres de l’État, sous Louis XV, qu’une honnête fortune de fermier général. La fièvre passagère du Système de Law n’engendra point de conquêtes solides. Samuel Bernard avait-il été saigné par Louis XIV, comme le Bourgeois gentilhomme par le noble Dorante ? Toujours est-il que le célèbre banquier ne laissa guère plus de vingt millions de francs ; les frères Paris restèrent bien en deçà d’un pareil chiffre. Mme de Pompadour reçut de la cassette royale des sommes que les pamphlets de la Révolution crurent pouvoir totaliser à 70 millions d’aujourd’hui, pour les vingt années que dura son règne. Mais elle était si prodigue qu’elle n’amassa rien et son frère Marigny recueillit seulement de quoi payer ses dettes.

Il n’y eut certainement pas au XVIIIe siècle d’aussi exceptionnelles richesses qu’au XVIIe, ni parmi les financiers, ni parmi