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opérée au XVIe siècle, une fois passées les générations populaires qui avaient connu1 l’ancienne abondance, ne s’apercevaient même pas, il y a deux cents ans, qu’ils n’avaient pas « de quoi vivre. » Pas plus d’ailleurs que les Français de 1905, maintenant que sont passées les générations d’avant 1850 qui ont vu venir l’aisance et s’opérer la transformation, ne s’aperçoivent de leur luxe relatif.

Ceux que choquait, au temps de Mazarin et de Colbert, l’opulence des nouveaux riches, c’étaient les bourgeois, enrichis eux-mêmes et nouvellement agrandis, mais pas autant qu’ils l’eussent souhaité. Pas autant surtout que cette troupe de rustres financiers qui tranchaient du gentil sire. Ceux que choquait aussi cette élévation subite, c’étaient les hommes d’épée, qui ne profiteront plus, qui ne s’arrondiront plus par l’épée, du moment où les additions, voire les soustractions, se font seulement avec la plume.

Les grosses situations acquises se maintiennent plus ou moins longtemps, comme on le voit pour les La Trémoïlle ; sauf les imprudences, les dissipations, les accidens tels que ces disgrâces marquées, qui dépouillaient à jamais une lignée. Mais il n’y a plus chance, pour un heureux capitaine, d’acquérir quelques-uns de ces biens immenses, débris de royaumes, comme à Bouillon et Sedan avait fait Henri de La Tour, le grand-père de Turenne. Les seules voies d’accès à l’extrême richesse sont l’exercice du pouvoir ou le recouvrement des impôts. Encore les fonctions de ministre ou celles de caissier cesseront-elles d’être aussi lucratives depuis qu’il n’y eut plus, après Mazarin, de vice-roi autocrate et depuis qu’il y eut, après Colbert, une comptabilité organisée.

Au moyen âge, il ne s’était vu pour ainsi dire nul revenu annuel, — sauf celui des rois, — supérieur à un million. N’oublions pas qu’il y en a aujourd’hui 150 ; il s’en vit jusqu’à une dizaine à la fois au XVIIe siècle. Leurs possesseurs furent Zamet, le banquier de la Cour, qui avouait 34 millions, Bouhier de Beaumarchais, le trésorier de l’Épargne, qui donnait à sa petite-fille 5 millions en mariage, lorsque Henriette-Marie de France, épousant le futur roi d’Angleterre Charles Ier, ne recevait que 3 750 000 francs de dot. La plus grosse fortune foncière appartenait à Mlle de Montpensier, dont les trois duchés, les principautés de Dombes et de La Roche-sur-Yon, le Dauphiné