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de 36 millions de francs tant en immeubles qu’en espèces.

En dehors de ceux-ci, tous les autres richissimes furent, au moyen âge, les possesseurs de provinces, de départemens ou d’arrondissemens actuels, connus sous les noms de rois, ducs ou comtes de ces territoires ; parce que la propriété féodale se confondait avec la souveraineté. Tous étaient des hommes d’épée, parce qu’une propriété ne se conservait qu’à la pointe de l’épée. Ces grands feudataires étaient, au point de vue de la fortune, bien inférieurs à nos grands industriels et commerçans d’aujourd’hui. On a vu plus haut que les budgets personnels des monarques français variaient, suivant la prospérité de leurs affaires, de 1 à 3 millions de francs ; ce sont les budgets actuels de nos principaux raffineurs de sucre et fabricans de chocolat.

Le Duc de Bourgogne dont les fiefs, moindres en étendue, surpassaient en aisance ceux de son royal cousin, dépensait en 1404 deux millions de francs par an. Ce sont les dividendes annuels du directeur propriétaire de notre journal parisien le plus répandu. Les États de Jean sans Peur, partie français, belges, hollandais et allemands, comparables par leur bizarre découpage à ceux du roi de Prusse de 1860, englobaient le plus beau lot économique de l’Europe d’alors : le littoral flamand, peuplé d’ouvriers d’art, de marins et… de banquiers. Aussi son maître laissait-il derrière lui tous les autres princes ; sauf peut-être ce Duc de Berry, oncle de Charles VI, connu pour son avarice et sa rapacité, qui s’était adjugé le Languedoc, s’appliqua à le pressurer pendant trente ans et donna à sa fille Bonne une dot de 3 675 000 francs.

Si l’on en juge par les dots que les autres seigneurs, de rang analogue, donnent à leurs enfans, par celles qu’apportent en mariage leurs épouses et surtout par leur dépense annuelle, le comte de Savoie se trouve avoir, au XIIIe siècle, 600 000 francs de rente et plus tard, lorsqu’il eut conquis le Genevois et le Piémont, 900 000. Il n’est pas de grande marque de vins de Champagne dont le propriétaire actuel n’ait davantage.

Le Dauphin de Viennois, en vendant ses domaines au roi de France pour 4200 000 francs, ne faisait pas un mauvais marché ; car l’argent rapportait 10 pour 100 et il n’avait pas auparavant plus de 400 000 francs de rente. Le comte d’Anjou, le comte de Périgord, le comte de Roussillon, roi de Majorque, n’en possédaient pas davantage. Le Duc d’Orléans, père de Louis XII, avait