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l’on n’était pas un Crésus avec trente chàtellenies. A peu près à la même date, le chef d’une illustre famille lorraine, Ferry de Ludres, sénéchal du duché, qui possédait, tant de son chef que de celui de sa femme, née Lenoncourt, une vingtaine de seigneuries, tirait 50 000 francs de ses fermages et 9 000 francs de ses droits féodaux.

La richesse de Jacques Cœur venait de ses navires, au nombre de sept, disent les uns et, suivant d’autres, de douze, qui trafiquaient avec l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre et surtout la Barbarie, la « Sarrazinance, » comme dit Mathieu de Coucy, « par la licence du soldan des Turcs. » Au point de vue du tonnage et de la capacité de transport, il existe, dans nos ports français actuels de l’Océan ou de la Méditerranée, 500 armateurs plus importans que n’était Jacques Cœur avec ses douze voiliers. N’oublions pas que, deux siècles plus tard, sous Louis XIV, il ne sortait encore de Marseille que 150 navires par an (dont 32 seulement pour la Turquie) et que le mouvement total était alors de 50 000 tonnes, dans un port où il est aujourd’hui de 7 millions.

Mais, pour Jacques Cœur, le chiffre d’affaires était proportionnellement élevé, parce que les marchandises dont il faisait commerce étaient toutes des objets de luxe, de haut prix. Son bénéfice net surtout, — comparé au chiffre d’affaires, — était notable, parce qu’il n’avait guère plus de concurrens, en France, pour les soieries et les objets exotiques qu’il y importait, qu’en Égypte ou en Asie Mineure pour les armures qu’il y exportait. En outre, il avait su organiser outre-mer des comptoirs d’achat et de vente, dirigés par des commis, des « facteurs, » dressés par lui à cette besogne. Malgré tout, la richesse de Jacques Cœur, au moment de son procès, ne s’élevait pas au-dessus de 18 millions de francs. Ce chiffre est celui que le tribunal, chargé de le dépouiller, lui réclama sous forme d’amende, égale à la valeur présumée de la confiscation. Car les « juges, » pour ne pas s’exposer à rien perdre, se gardèrent de l’estimer trop bas. Si l’on veut ajouter à cette somme un prêt de 9 millions, fait par Jacques Cœur quatre ans avant (1449) au roi Charles VII, lorsqu’il répondit à ce prince besogneux : « Sire, ce que j’ai est vôtre, » on atteindra tout au plus à 27 millions de francs pour l’apogée de cette proverbiale fortune. Celle du chancelier Duprat, acquise à moins de frais et de risques en puisant dans la caisse royale, aurait été, si l’on en croit les mémoires du temps,