Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moindre partie de son avoir. Le gouvernement de Bretagne lui rapportait 4 500000 francs ; il touchait autant de ses pensions sur le Trésor, autant de diverses rentes sur l’Etat, gagées par des impôts indirects. Mais la grande ressource de Richelieu fut les bénéfices ecclésiastiques, prieurés, doyennés, abbayes innombrables dont il porta les titres, s’abstint de faire les fonctions, mais ne manqua pas de toucher les fruits.

Plusieurs de ces monastères étaient chefs d’ordre, — par eux le cardinal se trouvait placé à la tête de congrégations nombreuses et puissantes, — beaucoup étaient unis à des bénéfices secondaires mais lucratifs. De sorte que, moitié en biens d’Église, dont il tirait 7 millions de francs annuels, moitié par diverses autres sources, le premier ministre jouissait de 14 millions de rentes. Mais la plus grande partie de ce budget était éphémère et prenait fin avec lui. Richelieu n’était pas thésauriseur comme son successeur Mazarin, qui laissa 195 millions de francs. Ce dernier avait légué au Roi, par testament, la totalité de sa fortune ; le souverain refusa l’héritage, que se partagèrent les huit neveux et nièces du grand homme d’Etat, si avide et pourtant si bon Français.

Sauf les trois cas que je viens de citer, il n’y eut, jusqu’à la Révolution, aucun revenu privé supérieur ou égal à 5 millions, et ceux-là mêmes peuvent-ils s’appeler des revenus « privés ? » Par les élémens qui les composaient, par leur mode d’acquisition, par leurs titulaires même, ces budgets de Richelieu et de Mazarin n’ont pas le caractère d’une richesse particulière. Ce fut un second budget royal que se taillèrent, l’un après l’autre, ces deux rois sans couronne qui exercèrent, trente-six ans durant, le pouvoir intégral de la royauté. Ils en assumaient aussi les charges et, pour la dépense comme pour la recette, faisaient souvent bourse commune avec l’Etat. Soldant des troupes ou achetant des alliances avec l’argent qu’ils croyaient leur appartenir, — puisqu’ils l’avaient mis dans leur poche, — ils restituaient ainsi, assez volontiers, partie de ce qu’ils avaient pris sans trop de scrupules. Après eux, il ne se vit plus de semblables fortunes jusqu’à la fin de la monarchie, parce qu’il n’y eut plus de pareilles élévations.

Et non seulement il n’y eut plus de tels apanages bien que, de nos jours, il y en ait une dizaine, mais on ne pourrait même citer aucun revenu analogue à ceux qui, — au nombre de quarante, —