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Cependant il plut à la collectivité de payer ceux qui organisaient, non ses gendarmes ou ses impôts, mais son bien-être, ses jouissances privées. A qui sut lui fabriquer quelque marchandise nouvelle ou lui vendre à bas prix quelque objet jadis cher, susciter et satisfaire un désir assez durable pour devenir un besoin, augmenter par cette production la richesse publique, le public donna pour récompense une part de cette richesse accrue, part incomparablement plus grande que celle des soldats couronnés du temps chevaleresque, ou des pourvoyeurs de budget du temps monarchique. Tels sont les riches du temps présent.

Nous verrons plus tard, en détaillant leurs dépenses, en les comparant à celles des anciens privilégiés de l’argent, que ce n’est pas seulement la source de l’opulence qui a changé, mais que c’est aussi son emploi. Par ce qui caractérise la richesse actuelle, par l’usage que l’on en fait, nous verrons quelles ont été les causes et les conséquences sociales de ces changemens.

Etudions tout d’abord les recettes privées d’autrefois, pour en apprécier le montant, par rapport à celles d’aujourd’hui. Ces recettes, on le sait déjà, ont varié de nature avec les formes de la propriété, les modes de gain et les fonctions appointées ; mais il est facile de les chiffrer en francs actuels en tenant compte, non pas seulement de la valeur intrinsèque des diverses monnaies, mais aussi de la valeur relative d’une même monnaie suivant les époques.

Il ne suffirait pas de savoir que la livre tournois correspondait, en poids d’or ou d’argent, à 20 francs sous saint Louis et à 0 fr. 95 centimes sous Louis XV ; il faut savoir ensuite combien de francs de 1905 valent 20 francs du temps de saint Louis et 0 fr. 95 du temps de Louis XV. Si nous n’avions pris soin d’établir, par un minutieux rapprochement de tous les prix au long des siècles, le rapport du coût ancien de la vie avec son coût actuel, nous ne saurions pas affirmer qu’un individu qui disposait, à tel moment du XIII, du XVe, du XVIIe siècle, d’un kilo d’argent ou d’or pouvait se procurer autant d’objets usuels que notre contemporain possesseur de 4, de 6, de 2 kilos et demi d’or ou d’argent. Nous ignorerions ce que vaut, en puissance d’achat, la même somme à travers les âges.

Nos calculs antérieurs ayant permis de l’établir, avec une certitude suffisante, il nous suffit de multiplier, par un