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parallèlement des inégalités économiques, inconnues des siècles passés, cela ne prouve-t-il pas que les révolutions politiques et les phénomènes économiques sont indépendans les uns des autres, qu’il n’y a point entre eux de connexité nécessaire, encore moins un rapport de cause à effet ?

En abordant cette quatrième étape de notre exploration rétrospective dans la France privée, jusqu’ici obscure[1], nous constatons qu’une fois de plus s’y trouvera vérifiée la loi, déjà formulée au cours de ces études et corroborée par les fluctuations de l’argent, de la terre et des salaires. Cette loi reçoit ici une nouvelle et éclatante confirmation. Non seulement le bien-être économique peut coïncider avec le malaise politique, ou, inversement, un peuple peut être misérable avec une constitution excellente, mais il est arrivé que, sur le point même qui lui tient le plus à cœur, notre démocratie, passionnée pour le nivellement politique, s’est vue contrainte, par ses intérêts, d’élever dans son sein des altesses économiques plus éminentes que toutes celles des monarchies abolies.

L’histoire de l’Argent et de la Terre nous apprend par quelles évolutions fatales les capitalistes de jadis, sous un régime qui leur était politiquement favorable, ont été dépouillés de leurs biens : les fortunes mobilières furent comme broyées et réduites en poussière par la triple baisse combinée de la livre monnaie, du taux de l’intérêt et du pouvoir relatif de l’argent. De grandes fortunes foncières, c’est à peine s’il en subsiste une demi-douzaine ayant plusieurs siècles d’origine.

La comparaison des salaires avec le coût de la vie, aux diverses époques, nous révèle que la condition des travailleurs, après des alternatives multiples de prospérité et de misère, a progressé au point que l’homme vivant du labeur de ses bras est aujourd’hui moitié plus riche que son aïeul. Mais aussi, dans l’histoire des salaires, nous voyons les révolutions « politiques » incapables d’améliorer le sort des paysans et des ouvriers ; en effet, de 1790 à 1850, les classes laborieuses, socialement grandies et dotées de tous les droits qu’elles possèdent aujourd’hui, demeuraient cependant, au milieu du XIXe siècle, dans un état matériel identique et peut-être inférieur à celui où

  1. Voyez, aux deux dernières tables de la Revue, les articles que j’ai publiée de 1891 à 1898 sur l’histoire de la Fortune mobilière, de la Propriété Foncière (Terre et maisons), des Salaires et du budget de l’ouvrier depuis sept siècles.