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près votre malheur, c’est en essuyant les pleurs des autres, qu’un cœur comme le vôtre parvient le plus aisément à suspendre les siens.

« J’apprends dans l’instant la fin tragique du brave et malheureux Pichegru. Si elle a été volontaire, — ce dont il est bien permis de douter, — païen, je l’eusse peut-être admirée ; chrétien, elle ajoute encore à mes peines. »

Dans les lettres qui sont sous nos yeux, le Roi continue à se montrer prodigue de consolations :

« Vous me rendez bien content de moi-même ; je ne me suis jamais flatté de guérir votre plaie, mais c’est beaucoup pour mon pauvre cœur d’y verser un peu d’huile et de vin. Mais vous faites bien mieux, vous avez recours au véritable Samaritain ; il ne vous donnera pas, comme nous autres misérables mortels, de vaines et futiles consolations ; il vous rendra vos souffrances profitables et à la manière dont il vous les fait supporter, je le vois déjà marquer votre place à côté de celle qu’il a voulu qui vous précédât. Mes larmes coulent en vous écrivant ceci, car je suis bien plus faible que vous, mais elles sont de tendresse, au moins autant que de douleur. Priez pour moi, mon ami, d’aussi bon cœur que je pleure avec vous. C’est du fond de mon âme que je vous le demande. Mon ami, votre douleur est juste, mais elle me perce le cœur. Permettez une réflexion à celui qui donnerait sa vie pour vous rendre ce que vous avez perdu. Si votre amie ne jouissait à présent du suprême bonheur, vous n’auriez pas les sentimens que toutes vos lettres respirent ; c’est une récompense que Dieu a accordée, non à vous, mais à elle ; croyez et méditez fortement cette vérité ; je ne suis pas digne de vous la dire, mais elle n’en existe pas moins. »

Tant de témoignages de tendresse émeuvent le Comte d’Artois jusqu’au fond de rame. « Je vous remercie de tout mon cœur, mon ami, de me parler des grandes et consolantes idées qui peuvent me procurer des consolations. Croyez que j’en fais un refuge habituel puisque j’existe, et puisque ma santé et mes forces morales ne sont pas détruites. Mais Dieu lui-même ne peut guérir une telle blessure que par un seul remède. »

Attaché à s’associer à la douleur de son frère, le Roi n’oublie pas ce qu’il doit à-celle du prince de Condé et du duc de Bourbon. Il leur a écrit en apprenant la mort du duc d’Enghien. Dans leurs réponses, il a pu voir combien leur âme est