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vécu, en héros. Ah ! du moins, que ce malheur n’en entraîne pas d’autres ! Songez que la nature n’a pas, seule, des droits sur vous et que le vainqueur de Friedberg et de Bernstein se doit aussi à la France, à son roi, à son ami. Adieu, mon cher cousin. »

Au duc de Bourbon il exprime la même pensée :

« Nous venons, mon cher cousin, de faire la même perte ; votre douleur ne surpasse point la mienne, mais souffrez que je vous offre une consolation : les derniers instans de notre fils l’ont montré digne du nom que sa vie illustrait. Vous en pouvez goûter encore une autre que je vous envie, c’est de surmonter vos peines, pour adoucir celles d’un père, d’un héros que la gloire voudrait qui vécût à jamais, mais qui, pour son propre bonheur, a peut-être déjà poussé trop loin sa carrière. Conservez-le, mon cher cousin, conservez-vous vous-même ; la France et moi, nous n’aurons pas tout perdu. »

Le Roi écrit aussi au Comte d’Artois :

« J’ai reçu hier, mon cher frère, l’affreuse nouvelle de l’assassinat de M. le duc d’Enghien ; la douleur et la rage sont mes seuls sentimens. Il s’y en joint, pourtant encore un autre ; quel espoir peut-il nous rester pour ceux qui, depuis le 15 février, sont tombés dans les griffes du tigre ? Hélas ! aucun. Cette pensée redouble mon affliction. Deux choses pourraient l’adoucir : l’une, les démarches que le roi de Suède a sur-le-champ faites à Paris, et ordonnées à ses ministres à Vienne et à Ratisbonne pour tâcher de sauver notre infortuné cousin ; l’autre, l’action d’un de ses palefreniers qui, revenant de l’écurie au moment où les enleveurs sont entrés dans Ettenheim et saisi par eux, s’est mis à crier au feu de toutes ses forces, au point qu’il a réveillé son malheureux maître et l’aurait sauvé, si cela eût été possible. J’ai écrit pour savoir le nom de ce nouveau d’Assas. »

A mentionner encore, dans la même lettre, ce passage relatif à Mme de Polastron, dont la mort est attendue d’une minute à l’autre.

« Je ne puis me flatter que le douloureux événement n’arrive pas. Il me reste donc à espérer et avec raison, au moins selon mes faibles lumières, qu’il n’y aura pas d’obstacles aux consolations que je voudrais de tout mon cœur vous donner et recevoir de vous. C’en est une pour moi de penser que ma commission du 17 février a pu être faite. Oh ! mon ami, que je vous aime, et que je vous plains ! »