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sa confidente de toutes les heures, sa maîtresse en un mot, que quinze années d’une liaison sans nuages lui ont rendue de plus en plus chère.

Dès 1803, on le voit anxieusement préoccupé de la santé de sa compagne. Elle a perdu son fils unique. Abattue par ce malheur où son âme exaltée voit déjà le châtiment de ses faiblesses pour le prince qu’elle adore et qui répond à son amour par une fidélité révélatrice de l’ardeur du sien, elle se détache lentement de la vie, sans avoir le courage de se détacher de lui en dépit des remords qui commencent à les assaillir l’un et l’autre. Averti des inquiétudes de son frère, le Roi redouble de sollicitude et d’affection :

« La voix publique m’avait déjà donné des alarmes sur la santé de votre amie. Je n’avais pas besoin de cette voix pour en concevoir. Il me suffisait de songer à la cruelle perte qu’elle vient d’éprouver. Mais j’ignorais le pire de tous les articles, le crachement de sang. Que votre cœur se dise en mon nom tout ce qu’il dirait au mien en pareil cas. Mais, en même temps, je vous en conjure, pensez que j’ai cru, et longtemps, d’Avaray perdu pour moi et qu’aujourd’hui, si je n’ose le regarder comme tout à fait sauvé, du moins mes espérances surpassent de beaucoup mes craintes. Si cette pensée vous console et vous fortifie, les peines que j’ai souffertes m’auront procuré un grand bien. » — « Maintenant, il faut que je vous gronde, mande le Roi un peu plus tard. Vous ne pouvez douter que je ne sois vivement peiné de l’état de Mme de Polastron. Vous ne m’en dites rien. Je demande donc, ou plutôt j’exige de vous de ne jamais m’écrire une lettre grande ou petite sans me donner de ses nouvelles et, quand vous le pourrez, avec un peu de détail. » Dans les lettres suivantes, il insiste encore.

Les nouvelles qu’il reçoit au commencement de 1804 lui apprennent les motifs du silence de son frère. Le Comte d’Artois n’a pas répondu parce qu’il n’a rien de bon à dire. De la chambre même de son amie qu’il ne quitte pas, il en fait le triste aveu le 17 janvier. Et son frère, n’écoutant que sa tendre sollicitude, de répondre : « Combien mon cœur partage les peines du vôtre ! Combien il en ressent pour vous que vous ne sentez pas vous-même ! Je sais tous les soins que l’amitié, qu’un sentiment plus tendre exigent dans ces cruels momens. Mais, je vous prie, je vous conjure de penser quelquefois que vous vous devez aussi à