Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prend un accent plus vif de confiance et de tendresse. Le Roi n’abdique pas ; il maintient ses droits, il manifeste ses volontés, continue à se refuser à ce qu’il juge inopportun. Mais il prie plus souvent qu’il n’ordonne et, de son côté, le Comte d’Artois, toutes les fois qu’il sent que sa résistance offenserait, engendrerait un dissentiment, s’empresse de céder.

En arrivant à Varsovie, Louis XVIII ne comptait y demeurer que le temps nécessaire pour traiter avec le roi des Deux-Siciles de son installation dans ce royaume. Cousin de ce monarque, un Bourbon comme lui, nourrissant encore l’espoir de resserrer ces liens de parenté par le mariage du Duc de Berry avec une princesse sicilienne, il pensait non sans raison qu’il serait mieux à sa place dans les États de Naples que dans ceux du roi de Prusse, pour qui sa présence pouvait devenir une source d’embarras et de difficultés. Comme tant d’autres projets qu’avaient détruits des événemens inattendus, celui-ci ne devait jamais se réaliser, et le séjour de Louis XVIII en Pologne allait se prolonger durant trois années.

S’il n’eût eu sans cesse en vue la conquête de sa couronne, s’il avait pu se désintéresser de la France et renoncer à y rentrer, il se fût aisément résigné à la tranquille retraite qui lui était assurée. Il y avait reçu de la part de la noblesse polonaise un accueil aimable, empressé. Le gouverneur de la ville, le général de Kohler, un vieil ami, le comblait de prévenances et de soins. D’illustres familles, les Zamoysky, les Poniatowsky, les Potocky, les Radziwill, les Tiskievicz, les Mnizeck se prodiguaient en attentions délicates, en invitations, en témoignages de respect et trouvaient le chemin de son cœur en entourant la Duchesse d’Angoulême des hommages dus à sa naissance, à ses malheurs, à ses vertus.

Ainsi, il n’aurait eu qu’à se louer d’être venu à Varsovie, si la médaille n’avait eu son revers. Dans cette ville devenue prussienne, il ne jouissait d’aucune liberté. Il ne pouvait recevoir qui il voulait, ni rien faire qui trahît sa volonté d’être le Roi. Une visite impromptue qu’il reçut au mois d’avril du Duc de Berry « provoqua des orages. » Son habileté les conjura, mais il n’échappa pas aux remontrances du roi de Prusse. « Je réponds de toute tranquillité tant que vous resterez comme vous êtes, lui écrivait ce prince. Je demande instamment de tenir bon à ce que le nombre environnant n’augmente pas du tout et